Rentrée littéraire : Benoit Duteurtre

"/On aurait aimé aimer le roman de Benoît Duteurtre, L’ordinateur du paradis, car il prend en considération un phénomène qui va poser de plus en plus de problèmes à l’homme techniciste : ce que l’on appelle le cloud ou l’informatique dans les nuages, ou encore la gigantesque mémoire virtuelle et externalisée du net.
Mémoire de chacun de nos passages sur le net, de chacune de nos recherches cybernétiques, de chacun de nos messages, de chacun de nos écrits, de chacune de nos photographies, de chacun de nos films ; de tout ce qui transite par les monstrueux serveurs dans lesquels tout est enregistré et archivé et qui fait prononcer cette sentence au principal personnage du roman, Simon Laroche :
« En somme, tout ce qu’on fait sur un ordinateur – donc une énorme partie de notre vie – est enregistré pour l’éternité. »

Cette mémoire monstrueuse, qui n’oublie aucun fait, aucun détail, aucune date, aucun écrit ; qui ne connaît que le premier degré du langage et qui peut permettre d’accuser chacun d’entre nous à tout moment, n’est-elle pas l’image que l’on peut se faire du Dieu contemporain ? Et si Dieu n’était autre que cette mémoire implacable et accusatrice ? C’est l’idée un peu loufoque et néanmoins pertinente du roman de Benoît Duteurtre. Et si, par malheur, le paradis que l’on nous promet depuis des lustres, n’était autre que l’image éternelle de notre époque techniciste et sans humour ? Une éternité de cauchemar, en somme, pour quiconque préfère la pénombre à la lumière crue, le secret à la transparence, la poésie au savoir encyclopédique, la quiétude au bruit continu, la rêverie aux documents administratifs.

Poussant un peu le raisonnement de l’auteur, on pourrait alors risquer cette hypothèse : l’homme est parvenu à installer sur terre (ou plus exactement dans les nuages, donc à la place du ciel, il n’y a pas de hasard), un avatar de Dieu en l’espèce d’une mémoire sans faille et sans miséricorde. N’est-ce pas l’ultime étape de l’effacement du Dieu de nos ancêtres ?

Par conséquent, loin de nous l’idée de mettre en cause l’imagination ou l’intelligence de Benoît Duteurtre. Comme une bonne partie des romanciers édités dans la collection blanche de Gallimard, depuis un certain nombre d’années, il est plein d’intelligence et d’érudition, et le scénario de son roman est impeccable. Dans la veine de Tristan Garcia ou Aurélien Bellanger, Benoît Duteurtre produit du roman scénarisé. C’est clair et bien construit, ça ouvre des pistes de réflexion et d’analyse mais c’est froid et sans style comme un discours d’énarque. Où sont passés les grands maîtres du style et de la langue française, donc de la complexité de l’âme humaine, qui ont fait la gloire des éditions Gallimard et de sa collection blanche imaginée par Gide ? Où sont passés les inquiéteurs, ceux qui nous plongent dans des abîmes de doute et de perplexité, ceux qui soulèvent en nous protestation, indignation et révolte ? Il faut croire qu’ils n’ont plus leur place dans cette maison respectable, et cela laisse songeur.

 

Benoît Duteurtre, L’ordinateur du paradis, Gallimard, 211 pages.

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