Ce petit bijou de drôlerie et de facétie De Beaumarchais revient sur les planches parisiennes au théâtre du Ranelagh ! Une version écourtée (d’1h30 tout de même) où la quintessence de cette satire sur le pouvoir que s’octroie le bourgeois, et le message féministe véhiculé par l’auteur sont suggérés plus que vraiment mis en valeur.
Figaro doit épouser Suzanne mais le Comte, son maître, entend user de son droit de cuissage, voire, empêcher le mariage. Le rusé serviteur a plus d’une ruse pour contrer les projets du Comte Almaviva.
Le comique et la farce sont portés au premier chef dans cette adaptation de la compagnie Les Nomadesques de la célèbre pièce de Beaumarchais, le Mariage de Figaro.
Montée en manière de Comedia dell’ arte, la pièce de Beaumarchais pétille, embrase la scène, distrait, amuse, mais ne titille pas autant qu’elle le devrait.
En effet, écrit en manière de satire politique dénonçant les travers et les abus des puissants de son temps, l’oeuvre de Beaumarchais se revendiquait féministe et critique envers le pouvoir indu des Bourgeois tout autant qu’envers les dangers de l’absolutisme.
Appliqué aux travers de notre époque et notre inquiétante situation politique, ce texte se révèle d’une brûlante acuité.
Étrange Mariage de Figaro qui défie les siècles… Beaumarchais visionnaire ou permanence du monde ?
Nous ne résistons pas au plaisir de vous offrir la tirade de Figaro, donnée, fort heureusement, dans la version de Vincent Caire au théâtre du Ranelagh. Une tirade d’actualité…
« Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ? Fils de je ne sais pas qui, volé par des bandits, élevé dans leurs mœurs, je m’en dégoûte et veux courir une carrière honnête ; et partout je suis repoussé !
J’apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, et tout le crédit d’un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire ! Las d’attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ! Je broche une comédie dans les mœurs du sérail.
Auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l’instant un envoyé… de je ne sais où se plaint que j’offense dans mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l’omoplate, en nous disant : chiens de chrétiens.
Ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant.
Mes joues creusaient, mon terme était échu : je voyais de loin arriver l’affreux recors, la plume fichée dans sa perruque : en frémissant je m’évertue.
Il s’élève une question sur la nature des richesses; et, comme il n’est pas nécessaire de tenir les choses pour en raisonner, n’ayant pas un sol, j’écris sur la valeur de l’argent et sur son produit net : sitôt je vois du fond d’un fiacre baisser pour moi le pont d’un château fort, à l’entrée duquel je laissai l’espérance et la liberté. (Il se lève.)
Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais… que les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le cours; que, sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits.
(Il se rassied.) Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un jour dans la rue ; et comme il faut dîner, quoiqu’on ne soit plus en prison, je taille encore ma plume, et demande à chacun de quoi il est question : on me dit que, pendant ma retraite économique, il s’est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui s’étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs.
Pour profiter de cette douce liberté, j’annonce un écrit périodique, et, croyant n’aller sur les brisées d’aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou ! je vois s’élever contre moi mille pauvres diables à la feuille, on me supprime, et me voilà derechef sans emploi ! Le désespoir m’allait saisir ; on pense à moi pour une place, mais par malheur j’y étais propre : il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint.
Il ne me restait plus qu’à voler ; je me fais banquier de pharaon : alors, bonnes gens ! je soupe en ville, et les personnes dites comme il faut m’ouvrent poliment leur maison, en retenant pour elles les trois quarts du profit. J’aurais bien pu me remonter; je commençais même à comprendre que, pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir. Mais comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore. Pour le coup je quittais le monde, et vingt brasses d’eau
m’en allaient séparer, lorsqu’un dieu bienfaisant m’appelle à mon premier état.
Je reprends ma trousse et mon cuir anglais ; puis, laissant la fumée aux sots qui s’en nourrissent, et la honte au milieu du chemin comme trop lourde à un piéton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci. »
Le Mariage de Figaro
Jusqu’au 19 avril 2015, du mercredi au dimanche
Mise en scène de Vincent Caire ; avec Auguste Bruneau ou Vincent Caire,
Franck Cadoux, Damien Coden, Elodie Colin, Gaël Colin, Cédric Miele et Karine Tabet.
Théâtre du Ranelagh
5, rue des Vignes
75016 Paris
Tél : 01 42 88 64 44
De 32 à 10€
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