Onfray, basse philosophie

""Il existe dans l’histoire de la pensée et de l’édition toutes sortes de mystères. Le cas Onfray en est un.
Pourquoi tant de bruit autour de son nom ? Parce que, comme BHL, Onfray est un de ces philosophes du petit écran que les Français adorent ? Qu’ils aiment admirer et détester ; qui les rassure ? Parce que Michel Onfray fait du digest philosophique et prétend mettre la pensée à portée de tous en la réduisant à un vague souvenir ?

Nous intéressant au cheval, soit à sa représentation à travers la littérature, la philosophie ou les arts plastiques et au rôle symbolique qui, longtemps, fut le sien, nous ouvrons le livre d’art que les éditions Flammarion nous proposent sous le titre de Haute Ecole. Brève histoire du cheval philosophique, en nous rappelant avoir eu grand plaisir à lire Les Désarçonnés de Pascal Quignard.

L’iconographie n’est pas dépourvue d’intérêt, mais les textes de Michel Onfray sont d’une tout autre facture. Le livre de Quignard était dépourvu d’images, se suffisant à lui-même. C’était un livre sérieux, érudit, drôle et profond ; celui d’Onfray est tout l’inverse, moralisateur, approximatif, prétentieux. Si on voulait le résumer en une phrase, ce serait celle-ci : Michel Onfray relève que le cheval n’est représenté dans la bible que dans l’Apocalypse de Saint Jean, d’où il déduit une « hippophobie chrétienne » qui est un des signes de la stupidité de cette religion à laquelle chaque article le ramène.

Chaque fois qu’il parle du christianisme, Onfray s’étrangle de haine.

Et il en parle beaucoup. À tout moment, et de manière tout à fait gratuite, ce qui réduit sa Brève histoire à un pamphlet anticlérical d’assez faible teneur. Aussi nous vient-il de penser que si, comme il l’écrit « Nietzsche disait du christianisme qu’il est un platonisme pour les pauvres », Michel Onfray est la pensée pauvre de Nietzsche. Onfray n’a pas vu passer René Girard en ce siècle, demeuré à l’antichristianisme primaire et névrotique du tout dernier Nietszche ; demeuré, comme au XIXe siècle, bêtement matérialiste et rationaliste, dix-neuviémiste au sens établi par Muray.
Employant ainsi le procédé bien connu de la rhématisation, Onfray écrit, « Les peintres ont souvent montré saint Paul, juif persécuteur des chrétiens passé au christianisme persécuteur des autres, comme tombant de cheval sur le chemin de Damas. »
Une phrase, dans laquelle tout le monde aura compris que le message essentiel n’est pas de nous enseigner que Paul a été souvent représenté tombant de cheval, alors que d’après le texte biblique il tombe seulement à la renverse, mais que Paul était un « juif persécuteur des chrétiens passé au christianisme persécuteur des autres », où, de manière tout à fait gratuite et comme en passant, presque sans y avoir prêté attention, Onfray nous apprend que la vraie vérité de l’évangile est la persécution exercée par le christianisme, la chute de Saul n’ayant guère de signification pour notre philosophe qui se contente d’écrire, « Il faut lire le texte : il n’y a pas de cheval. Le fondateur du christianisme d’église chute tout seul, puis il connaît un épisode de cécité et recouvre la vue – cas d’école des symptômes hystériques… »

Une telle cécité philosophique ne peut que prêter à sourire. Ce pauvre Onfray devient tout à fait stupide, dès qu’il s’approche du christianisme. Quignard a écrit quelques pages sur cet épisode qu’Onfray cherche à réduire à « un cas d’école des symptômes hystériques », par lesquelles nous mesurons le précipice qui sépare notre philosophe médiatique de l’écrivain. Quatre pages dans lesquelles il évoque la chute de Saul et le prodigieux sermon que Maître Eckhart en a tiré. Jean Vioulac, professeur de philosophie qui refuse de s’arroger le titre de philosophe et qui ne hante pas les médias avec la même ferveur que Michel Onfray, s’est très profondément intéressé à la conversion de Saul dans son Apocalypse de la vérité. Une fois de plus, nous mesurons à cette aune, la différence de nature qui existe entre la pensée philosophique et celle de Michel Onfray.

Onfray est impitoyablement attiré par le christianisme qu’il exècre et, comme tout homme voué à la haine, rendu profondément aveugle par celle-ci, mais pas à la manière de Saul, non, aveuglé par la haine éblouissante dont il ne parvient à détourner le regard ni la pensée, c’est ainsi qu’il mélange le christianisme à tout ce qu’il trouve et le mêle à toutes sortes de choses qui n’ont aucun lien, dans le seul objectif obsessionnel d’expliquer en quoi le christianisme est mauvais, mais ayant pour unique puissance d’obtenir les applaudissements de ceux qui partagent un même aveuglement ou une même pauvre intelligence.

Ainsi commence son article sur Lucrèce : « Le plus radical antidote au christianisme qui n’aime ni le corps, ni le désir, ni le plaisir, ni les pulsions, ni les passions, ni la chair, ni la jouissance, en un mot, qui n’aime pas la vie, c’est l’épicurisme, pour lequel il n’y a que des atomes qui tombent dans le vide. » Puis, le philosophe nous explique que l’hostie n’est que de la farine, le vin dans le calice, le jus du raisin cueilli par les vignerons, et surtout que grâce à Lucrèce nous savons enfin que le centaure n’existe pas et qu’il « constitue une impossibilité naturelle. Soit on est cheval, soit on est homme, mais on ne peut être l’un et l’autre – c’est l’un ou l’autre. » Ouf ! Heureusement qu’Onfray était là pour nous l’enseigner. Et surtout, nous expliquer que croire à la vierge Marie ou à la transsubstantiation, c’est comme croire au centaure. « Tous les dévots d’une religion pensent ainsi, et le mixte de cheval et d’homme vaut celui de vierge et de mère, d’humain et de divin, de pain et de chair, de vin et de sang. »

Avant Onfray, personne ne nous avait prévenus que tous les chrétiens sont des crétins qui croient aux fables de l’enfance. Heureusement qu’il est passé par là, bénie soit l’heure de sa naissance !
Sans lui, nous ne tiendrions pas non plus une chose essentielle : « Hegel écrivait comme un cochon » et sa philosophie a séduit les nazis. La fameuse phrase qui ornait le fronton du camp d’Auschwitz, c’est lui. Et paf ! De toute façon, Hegel ne mérite pas plus que trois pages, c’est un homme dépressif, incapable d’écrire, dont la pensée « est un désordre qui se présente sous les allures de l’ordre. »

En revanche, une chose mérite que l’on s’y attarde et que l’on y revienne, pour Onfray, c’est qu’il existe « une différence de degré entre les hommes et les animaux, et non une différence de nature ». Nous avons droit à cette trouvaille darwiniste dans l’article consacré à Montaigne (Montaigne a compris cela trois siècles avant Darwin), puis à celui consacré à Meslier (il a compris cela deux siècles avant Darwin, et j’en profite pour taper sur les chrétiens), et encore une fois dans l’article consacré à Bentham, exactement dans les mêmes termes, le professeur Onfray craignant sans doute que le message n’ait pas été reçu, ou alors, se mettant à radoter.

Michel Onfray est l’enfonceur de portes ouvertes.

Comme il l’avait déjà fait dans un ouvrage sur Sade où il démontrait que Sade était un vilain bonhomme, pervers et « délinquant sexuel multirécidiviste » et révolutionnaire en peau de lapin, il entreprend ici de nous présenter Darwin. Toute personne ayant lu Sade sait à quel point ses romans sont ignobles et sa vision sexuelle totalitaire, Pasolini n’a pas attendu Onfray pour le prouver. Mais quand on a dit que Sade était un « délinquant sexuel multirécidiviste », qu’a-t-on dit ?
Une fois de plus, Muray aplatit Onfray : « Ah oui, ne pas oublier Sade, bien sûr, ce grand, cet admirable serviteur du rationnel, du système totalitaire. L’homme accablé par Dieu et qui, voulant le tourner en ridicule, montre lui-même sa faiblesse et ne peut présenter que l’horreur du sexe et de la violence. » (Ultima necat I)

En réalité, Onfray a le christianisme qui le démange et il passe son temps à se gratter les croûtes. Il lui est difficile de penser à autre chose, difficile de poser les yeux ailleurs. Il ne comprend pas pourquoi ses croûtes saignent. Il est angoissé et son angoisse, il la transfère sur son obsession du christianisme. Il veut se rassurer, il trouve quelques formules, « La philosophie anglaise a pris acte du caractère révolutionnaire de ce savoir antichrétien. »
De quel savoir parle-t-il ? Mais toujours de la différence de degré et non de nature entre le cheval et l’homme.

Les chrétiens sont des esclavagistes, des tortionnaires et des demeurés ; Hegel était un nazi en puissance, etc. La pensée, avec Onfray, c’est simple. Un paragraphe, hop, le cas de ce philosophe est réglé ; trois lignes, et vous avez tout saisi à cette religion. C’est ce qu’on appelle la démagogie. On comprend qu’il connaisse un tel succès. Onfray, c’est « La philosophie par le nul ».

Avec lui, vous avez l’impression d’avoir tout compris sans aucun effort. En vérité, il ne vous a rien appris.

 

Michel Onfray, Haute Ecole. Brève histoire du cheval philosophique, Flammarion, 190 pages

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