Rentrée littéraire ; du roman comme psychanalyse

Une phrase de L’eau qui passe (Franck Maubert, Gallimard) résonne encore dans ma tête : « Pourquoi sommes-nous condamnés à nous replonger dans les années perdues ? ».
L’exercice est, en effet,  périlleux et, trop souvent, assommant pour le lecteur, pris ainsi honteusement à témoin.
N’est pas Félicien Marceau qui veut et Ses années courtes (toujours chez Gallimard) demeure à jamais un sommet hors de portée de plumes trop conventionnelles, à l’encre larmoyante et au trait gras ou insipide. Il y avait des maisons pour la tolérance, nous ouvrons désormais les asiles aux pleurnichards dépressifs mazoutés au Lexomil.

En un mot comme en cent, beurk les jérémiades, les expiations pré-mortem, les confessions publiques avec auto-flagellation à destination des réseaux sociaux !

Un solide talent est donc inévitablement requis pour s’élancer dans ces récits pompeusement rebaptisés romans, institués sur le tard couverture des timides et abris des coincés de la révélation eau-de-roche.
Franck Maubert et Christopher Gérard doivent, par conséquent, recevoir nos plus chaleureuses félicitations pour ce qu’il faut bien considérer comme deux prouesses.  


Dans L’eau qui passe, Maubert revisite une jeunesse compliquée, solitaire, dans laquelle Cécile, une statue de procession, Bandit le satanique, son seul ami d’enfance, et le couple improbable, Irmina et Anselm, font office de bien faibles lueurs dans d’opaques ténèbres. Les blessures faites à un jeune cœur ne se referment jamais. Jankélévitch lui tendra, pourtant, la main, une révélation lui sera faite, peut-être la plus exquise, mais échappe-t-on facilement à son histoire, à une aussi redoutable ascendance ?

Le prince d’Aquitaine (Pierre-Guillaume de Roux) voit Christopher Gérard (en profiter pour lire aussi l’excellent Aux armes de Bruxelles !) régler quelques comptes avec son géniteur, qui aura « trahi et l’amont et l’aval, Grand-Père et Grand-Mère accablés de désespoir, son fils couvert de cicatrices et déshérité jusqu’à l’os ».
Ce père indigne est, disons-le, un beau salaud, le genre à voler les Napoléons offerts à son propre fils pour financer une nième virée infernale, à tirer langoureusement sur les Gauloises bleues filtre sans penser au monde qui l’entoure. Voilà qui vous forge le caractère : « Comme le disait Sénèque, il faut refuser de laisser son âme s’engloutir dans la nuit et, même dans le malheur, qui arrive de toute manière, rester conscient « qu’il est plus humain de rire de la vie que d’en pleurer ».

Et puis, quelqu’un qui apprécie Drieu n’est jamais vraiment seul dans la vie. Pourquoi replongeons-nous sans cesse dans nos années perdues ? Je l’ignore. Certains auteurs le font d’évidence pour tenter de tuer le père, en assommant leurs pauvres lecteurs.
Maubert et Gérard évitent cet écueil, leur élégance sans doute.

 

François Jonquères

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