La coutume des oeufs de Pâques

LA COUTUME DES OEUFS DE PÂQUES
racontée par l’un de nos plus grands chocolatiers français pour CultureMag


 

Par Christian Constant, Maître Chocolatier*

 

Œufs en sucre, en nougatine, en chocolat.  Œufs enrubannés, œufs écrins, œufs gigognes.  Œufs multicolores comme des arcs en ciel, œufs peints comme des icônes, œufs tressés comme des nids.  Œufs pleins de petits poissons, pleins de poussins à croquer, pleins de surprises, pleins de rêves. Oeufs à offrir, œufs à chercher dans les buissons, œufs à casser dans les terrines.  Œufs pour îles d’amour, soupes dorées, pain perdu.  Œufs de Pâques pour festivités printanières…

Dans certaines familles, on dit encore aux petits enfants que les œufs de Pâques sont rapportés de Rome par les cloches et qu’au passage, elles les sèment dans les jardins.  Ils n’y croient pas beaucoup, mais ils les cherchent quand même.  Cette métamorphose du bonbon, particulière à Pâques renouvelle le plaisir du sucre.  Renouvelle la tendresse.  Offrir des œufs porte bonheur et entretient l’amitié : on casse les coquilles et on partage les morceaux.  Et puis on les croque ! Pas commode pour le diable d’y inscrire un nom.  Mais qui croit encore au diable et qui croit encore à la magie de l’œuf ?

 

UN OEUF PRIMORDIAL

 

D’aucuns vous diront que la tradition des œufs de Pâques date tout au plus du Moyen-Age, lorsque l’Église commença à interdire, en Carême, la consommation de toute denrée d’origine animale.  Seul le poisson était autorisé et les œufs eux-mêmes n’étaient permis que lorsque la « marée » faisait défaut.  A Pâques, l’abstinence terminée, on se réjouissait donc de pouvoir de nouveau manger des œufs.  On en profitait d’autant plus que le produit des pontes s’était accumulé dans les corbeilles et qu’en cette saison la production était particulièrement importante.  Chez les poules, disait feu James de Coquet s’efforçant d’expliquer la frénésie printanière de la basse-cour, l’ovulation se règle sur l’écliptique ! ».  Il serait dommage cependant, pour expliquer le rôle des œufs au moment de la fête de Pâques, de se contenter de ces raisons strictement rationalistes.  En vérité, il y a une relation étroite, entre le temps du renouveau printanier – où l’Église, astucieusement, choisit de placer la célébration de la résurrection du Christ – et cet œuf qui contient tout l’avenir en germe.

 

Le problème de l’antériorité relative de la poule et de l’œuf ne tracassa guère que les scolastiques.  Pour les anciens sages, et dans presque toutes les cosmogonies, l’œuf était « primordial ».  Ordinairement craché par Verbe créateur, il était considéré comme le premier principe d’organisation après le chaos.

 

En Chine, l’univers procédait d’un œuf immense.  Le jaune donnait la terre, la partie supérieure et inférieure de la coquille donnaient le ciel et les astres.  Aux Indes, le monde et toutes les créatures vivantes naissaient d’un œuf en or.  Chez les Celtes, c’était l’œuf de serpent, figuré par l’oursin fossile, qui engendrait toute la création.  Chez les Dogons du Mali, l’œuf cosmique naît d’une vibration sonore initiale.  Il se concentre, se gonfle puis éclate et laisse retomber les vingt-deux éléments fondamentaux d’où surgiront les hommes et les choses.

D’autres fois, c’est l’homme primordial lui-même, ou les premiers dieux, ou les héros qui naissent d’un œuf.  Chez les Incas, une légende raconte que le héros créateur ayant demandé à son père, le Soleil, de peupler le monde, celui-ci lui envoya trois œufs.  Un œuf en or d’où sortirent les nobles, un œuf en argent d’où jaillirent les femmes et un œuf de cuivre qui engendra le peuple.

 

Avec sa forme d’une très grande pureté, l’œuf fut longtemps considéré comme l’image de la perfection et de la totalité.  Par ce qu’il contient un germe, il était le symbole de la rénovation périodique de la nature et de l’immortalité.  Dans certaines traditions, on offrait des œufs aux morts, en guise de nourriture, et, en gage de renaissance, on plaçait des œufs d’argile dans les sépultures.

 

L’œuf philosophique de la tradition alchimique procède de la même idée.  Il est ce vase clos, cet athanor dans lequel se produit, après une longue couvaison, la transmutation de la matière.

 

À PROPOS D’OEUF ROUGE

La tradition chrétienne, en associant l’offrande des œufs à la fête de Pâques n’a fait qu’inscrire ses propres symboles dans la lignée des anciennes croyances.  C’est en 325 que le concile de Nicée plaça la célébration de la résurrection de Jésus à cette époque précise de l’année qui suit l’équinoxe et correspond au renouveau printanier pour tout le monde méditerranéen.  Au même moment, quelques siècles auparavant, avaient lieu chez les romains les fêtes de Cérès.  Les offrandes à la déesse de l’agriculture étaient constituées essentiellement d’œufs, symboles de fécondité.

 

On faisait aussi de gigantesques omelettes de cent œufs qui avaient pour fonction de purifier l’air et de préserver des tempêtes équinoxiales.

 

L’avènement du christianisme ne chassa pas ces pratiques.  On se contenta d’en changer la signification.  Assimilant éclosion et résurrection, les premiers chrétiens portaient des œufs à l’église pour les faire bénir et les offraient ensuite aux parents et aux amis pour qu’ils les consomment en signe de réjouissance.  Il s’agissait généralement d’œufs peints en rouge.  En souvenir peut-être des œufs ardents (ova ignita) avec lesquels furent torturés les martyrs.  En souvenir aussi, rappellent les historiens, de l’œuf rouge pondu par une poule impériale le jour de la naissance d’Alexandre Sévère, 208 ans avant J.C.

 

Quoi qu’il en soit, la tradition de l’œuf rouge était très répandue.  Les Celtes célébraient l’an nouveau en mangeant des œufs peints en rouge et ils croyaient que s’ils parvenaient à se procurer l’œuf rouge du serpent de mer (ce qui n’était guère facile, car il fallait le saisir au vol pendant l’accouplement des monstres) tous leurs désirs seraient comblés.

En Alsace, on dit que les œufs rouges (ainsi que ceux en chocolat et les menues friandises que les enfants vont dénicher dans les jardins le jour de Pâques) sont pondus par un lièvre blanc : « l’osterhase ».  Sans doute à cause des rapports du lièvre et de la lune…et l’on sait que c’est la lune qui décide de la date de la fête du Pâques.

 

En Vendée, on explique aux enfants que les œufs sont rouges parce qu’ils reviennent de Rome avec les cloches et qu’ils ont vu là-bas les cardinaux assemblés, dans leur robe rouge.

 

Pour teindre les œufs en rouge, on les faisait cuire autrefois dans une décoction de racine de prunier ou de bois de Campêche.  Le bois du Brésil, la betterave ou même les violettes permettaient de les teindre en violet.  Les pelures d’oignon, les racines d’orties les jaunissaient.  Pour le vert, on avait recours aux pousses de peuplier, au lierre ou aux épinards.  La chicorée donnait des œufs bruns.  Les plus habiles obtenaient des œufs chamarrés en les faisant cuire dans une mousseline contenant des herbes et des fleurs.

 

QUÊTES D’OEUFS ET ROULEES

 

C’était avec ces œufs de toutes les couleurs, qu’autrefois, dans les campagnes, le jour de Pâques, on jouait aux roulées ou à la « toquette ».  Mais auparavant, il fallait aller quêter les œufs.

 

La quête des œufs est de tradition fort ancienne.  A Paris, au Moyen-âge, les clercs des églises et les étudiants, après avoir chanté l’Office des Laudes sur le parvis de Notre-Dame, s’assemblaient en cortège et parcouraient les rues pour quêter les œufs.

 

Dans les campagnes, les enfants de chœur allaient et vont encore dans certaines régions, de maison en maison et chantaient en s’accompagnant de crécelles

 

« Si votre poule à bien pondu

Vous donnerez bien entendu

Dix œufs dans le panier que v’la

Alléluia »

 

Généralement, la quête était bonne, mais il arrivait que quelque avare se garde bien d’ouvrir sa porte.  Il entendait alors le petit groupe des quêteurs s’éloigner en chantant à pleine voix :

 

« Ma tante a mis sa poule à couver

Dans l’intention d’rien nous payer

Un jour viendra qu’elle en crèvera

Alléluia »

 

D’autres fois, les œufs étaient considérés comme une redevance que les paysans devaient au Seigneur, ou les fidèles au curé.

 

Le produit des quêtes (des œufs, mais aussi de la menue monnaie, de la farine, du beurre, du vin, etc.) servait à faire bombance le jour de Pâques.  Il était souvent réparti entre les enfants de chœur, le curé le bedeau et même parfois l’instituteur.

 

Le dimanche de Pâques, après la messe, on mangeait à jeun-les œufs pondus le Vendredi Saint car ils passaient pour préserver des maladies jusqu’aux Pâques suivantes.  On prenait bien soin, ensuite d’en écraser finement les coquilles, afin que le diable, ou quelque mage mal intentionné, ne vienne pas écrire votre nom dessus pour vous jeter un sort.  L’après-midi on allait sur la place des villages jouer aux « roulées ».  Ce jeu, très répandu en Bourgogne et dans les provinces limitrophes, consistait à faire rouler des œufs durs colorés en rouge ou en bleu le plus souvent, sur un plan incliné.  Tout œuf cassé était récupéré par le possesseur de l’œuf resté entier, qui le dévorait en l’arrosant copieusement.

 

Dans l’est, les roulées se faisaient sur une plus grande échelle, car on leur faisait tout simplement dévaler les montagnes.

 

En Dordogne on se souvient encore de la Fête des œufs qui avait lieu le dimanche soir.  Les habitants du village se réunissaient sur un emplacement réservé à cet usage et jouaient à la balle avec des œufs colorés, se les lançant ou jonglant.  La fête se terminait par un repas sur l’herbe au cours duquel on se régalait de ces œufs durs accommodés en salade avec de l’ail et des truffes.

 

Ailleurs, on jouait à la « toquette ».  Chaque joueur enfermait un œuf dur dans son poing fermé, ne laissant dépasser qu’une extrémité de coquille et le faisait « toquer » contre l’œuf tenu par un autre joueur.  Tout œuf rompu était un œuf gagné et le perdant payait la tournée.

 

Partout, on se régalait de gâteaux ou de desserts riches en œufs : brioche en forme de couronne garnie d’œufs durs avec leur coquille, colorée ou non (cacavelli corse ou gâteau de Pâques niçois), soupes dorées du Limousin et de Limagne, alise vendéenne, galette pâquaude, échaudés aux œufs de Pâques, etc.

 

En Afrique du Nord, la « Mouna » est un gâteau pascal en forme de couronne incrustée d’œufs durs colorés en rose et vert.  En Belgique, les fiançailles se célébraient à Pâques et les promis échangeaient des œufs colorés accompagnés de devises sentimentales.  En Hollande, on consommait au petit déjeuner du dimanche des œufs de pluvier.  En Pologne, la table des maisons riches était ouverte à tout venant.  Le maître de maison accueillait les visiteurs en partageant avec eux un œuf dur.  Les émigrés en conservèrent la coutume et la réception du lundi de Pâques, à l’Hôtel Czautorysky est restée célèbre.  Dans toute l’Europe centrale, et particulièrement en Roumanie, on prenait beaucoup de soin à la décoration des œufs.  Le matin de Pâques, les jeunes filles les dressaient dans une corbeille, autour d’une bougie allumée et allaient de maison en maison les distribuer aux parents et aux amis.

 

DES OEUFS D’OR

 

Le peuple n’était pas le seul à célébrer, à Pâques, la « Fête des œufs ».  Les grands de ce monde suivaient aussi la tradition et l’histoire a gardé la mémoire de quelques œufs fort célèbres.

 

Passons sur celui que Gargantua gobait lorsqu’il manifestait une petite faim.  C’était un œuf énorme fait de plusieurs douzaines d’œufs et reconstitué dans un astucieux agencement de vessies de porc.

Mais souvenons-nous de l’œuf de Pâques reçu par François ler et qui contenait à l’intérieur de sa coquille tous les mystères de la Passion, sculptés sur bois,  de celui que

Louis XIV fit porter au couvent, à Mademoiselle de Lavallière, qui contenait un morceau de la vraie croix, de l’énorme œuf de cane entièrement plaqué or par le joaillier de la couronne que Louis XV offrit un jour à la Du Barry. « Si vous le mangez à la coque, j’en retiens la coquille », murmura alors le Chevalier de Boufflers à la favorite.

 

Au Louvre, une tradition subsista jusqu’à la Révolution : au cours de la semaine de Pâques, les officiers de bouche parcouraient l’Ile de France pour en rapporter les plus gros œufs.  Le roi les faisait dorer, bénir, et les offrait lui-même le jour de Pâques, à tous les gens de sa maison du premier courtisan au dernier valet de pied.

 

Après la Révolution, la coutume d’offrir des œufs dorés ou contenant des miniatures persista … mais ils renfermaient plus volontiers des guillotines ou des Bastille modèle réduit, que des sujets religieux !

 

Les œufs de poule décorés offerts par les riches étaient souvent de petit chef-d’œuvre, comme ceux peints par Watteau de paysages de Bergerie, mais ils étaient particulièrement fragiles.  On prit donc l’habitude très tôt d’offrir des œufs qui résistent aux temps : œufs d’autruche à monture d’or ou de vermeil, œufs d’ivoire richement sculptés, fabuleux œufs de Fabergé …

 

DES OEUFS EN CHOCOLAT

 

Aujourd’hui, les artistes créent toujours des merveilles : œufs de buis aux reflets chauds, œufs de nacre ou d’opaline, de jade ou d’obsidienne, œufs de résine montrant en transparence des fleurs figées pour l’éternité …

 

Mais le vrai, l’œuf de poule, trop modeste, trop abondant aussi, est bien négligé.  Qui aujourd’hui oserait offrir de vrais œufs ? À moins qu’ils ne viennent d’une vraie ferme !  À moins qu’ils n’aient été soigneusement vidés pour être remplis de chocolat ou de praliné ! Une idée d’autant plus amusante qu’elle nous fait réfléchir aux curiosités de la vie moderne.

 

Quoi qu’il en soit, l’œuf de Pâques, aujourd’hui, est d’abord et avant tout un œuf en chocolat, parfois en sucre ou en nougat.  Pendant des anciennes redevances seigneuriales, il arrive même qu’il soit de rigueur dans les conventions collectives de certaines entreprises !

 

Dans la pratique artisanale, les œufs sont faits un à un.  Ou plutôt, moitié d’œuf par moitié d’œuf.  Le premier travail consiste à faire fondre le chocolat à 50 ‘C environ et après l’avoir malaxé tout en le faisant refroidir au-dessous de sa température de cristallisation, à le réchauffer ensuite à la température propre au moulage.  Chaque moule est une moitié d’œuf dans laquelle le chocolatier fait couler à la louche un peu de pâte de chocolat.  Celle-ci adhère sur les parois chauffées à la même température.  Alors, le chocolatier laisse s’égoutter l’excédent en agitant le moule retourné au-dessus d’une cuve de récupération.  Quelques minutes après, il recommence : nouvelle couche de chocolat, nouvelle agitation, nouveau refroidissement.  Il recommence autant de fois que nécessaire pour obtenir l’épaisseur désirée.

 

Lorsque le chocolat a bien pris, on fait en quelque sorte la toilette de chaque moitié d’œuf.  C’est l’ébarbage qui permet d’éliminer les coulures inesthétiques et de favoriser la jonction des deux moitiés.  Le démoulage a lieu après un refroidissement au cours duquel le chocolat durcit lentement.  La moitié d’œuf apparaît, d’autant plus brillante et lisse qu’on a pris plus de soins à sa fabrication et que l’on a attendu de temps avant le démoulage.  Il n’y a pas de trucs, il faut seulement que le moule, au moment du moulage, soit bien propre et à la bonne température.

 

La conservation se fait à 18’ C environ et 50 % d’humidité relative : même si elle dure plusieurs semaines les œufs ne perdent ni leur bel aspect ni leur fraîcheur.  Ce n’est qu’au moment de la commercialisation que les moitiés d’œufs livrées aux mains adroites des vendeuses sont réunies et garnies de petits œufs : oeufs-liqueur fabriqués comme des dragées à partir d’un noyau coulé dans l’amidon et dont le mouchetage évoque si bien celui des œufs des petits oiseaux, œufs en nougatine découpés par des laminoirs, petits œufs en chocolat …

 

Il ne reste plus alors qu’à enrubanner les œufs de rubans de soie colorée… et à convier les cloches pour la distribution.

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