Qui tient la corde à la rentrée ?

Cet été, la ville de Nantes se sera donc distinguée avec sa fontaine-pisseuse puis avec l’incendie de sa cathédrale, fort éclairant sur l’efficacité de l’admirable système de surveillance protégeant notre patrimoine. Mention spéciale au tableau de Flandrin, parti comme l’orgue en fumée non sans avoir, lui, été glorieusement accroché au-dessus d’une armoire électrique ; ce qu’un élève de muséologie eut trouvé bizarre mais pas les commissions de sécurité (après Notre-Dame et Nantes, espérons nos cathédrales nucléaires mieux gérées ( ?).

Disparition de Marc Fumaroli, l’auteur de « L’état culturel » qui dénonçait, dès 1991, les dérives étatiques de la culture ; l’a rejoint le philosophe Bernard Stiegler, qui travailla au Centre Pompidou, auprès de l’Etat culturel. Départ aussi du dessinateur et académicien Pierre-Yves Trémois mais pas d’inquiétude, il nous reste Frank Scurti en pleine forme : il disposa cet été du Grand Palais comme terrain de jeu à lui tout seul.

Alors que les salons historiques sont peu à peu gentiment éconduits du lieu, bien qu’ils regroupent des centaines d’artistes, on ne saura pas les critères qui ont conduit le président de la Réunion des Musés Nationaux à l’élection du seul Scurti. Même en scrutant ce que proposait sous la nef, ce « poète du débris », cet « obsédé de la récupération » dixit Le Monde (1). Le Grand Palais étant un lieu d’expositions, Scurti veut « rompre avec les habitudes » donc pas d’exposition (c’est d’un commun !) mais une « intervention » intitulée « Au jour le jour », bref un « anti-monumenta » où à part quelques éléments, peu nombreux, en place au début, tout évolue tout le temps. Scurti n’a pas de projet arrêté « on verra … comment ça tourne ». Et tout tourne autour de la « corde des débris » de 40 m de long où Scurti a l’habitude d’attacher, au départ grâce à des lacets de chaussures, des débris de bric et de broc récoltés dans la rue autour de son atelier. Coup de génie, la voilà, cette corde, qui pendouille au centre de la grande verrière : « il a fallu deux spécialistes des travaux dans le vide » pour l’installer ! Admirez la symbolique : « le drapeau et le ciel sont ainsi symboliquement reliés à la terre et au sous-sol par un fil lesté des rebuts de la société contemporaine ». Belle vision du monde d’après. Plus loin, Scurti étale le revers bleu d’affiches décollées dans le métro « des flaques de ciel » dit-il, cette intervention étant inspirée d’une fresque de Giotto à Padoue où un ange roule un coin du firmament (lors du Jugement Dernier ! ). L’AC n’entrevoit pas la fin de son monde : bricoler au frais du contribuable reste pour lui la démocratie culturelle.

Quant à Roselyne Bachelot(2) qui eut le bon sens de ratifier une restauration de Notre-Dame à l’identique (voir à sujet les vidéos cliquez), elle vint au « Grand jury RTL » de septembre en portant un masque signé Orlan, et tint à rassurer les partisans du « grand geste architectural » et de la très conformiste « rupture ». Il y aura bien un projet moderne et audacieux… bouleversant les alentours immédiats de la cathédrale. De grandes chances pour que le parvis clean, tape l’œil, paradis des bobos en verre transparent tienne la corde.
Quel incendie providentiel, qui va, quelle aubaine, jouer le rôle de monnaie d’échange : braves gens, vous n’allez pas râler contre notre parvis de science-fiction puisqu’on vous reconstruit la flèche à l’identique ! Sans l’incendie, la dénaturation du site eut déclenché illico une levée de bouclier… car le patrimoine ne peut survivre, comme toute espèce menacée, que dans une niche écologique ou historisante.
Comptez bien, comme disait Debord, que « le traitement médiatique fera perdre de vue la véritable opération… »

L’actualité artistique risquant d’être ralentie par la crise sanitaire, la publication de cette rubrique pourra s’espacer.

Bonne rentrée

Christine Sourgins

Images : photo du tableau d’Hippolyte Flandrin, Saint-Clair guérissant les aveugles, parti en fumée dans la cathédrale de Nantes incendiée par un immigré clandestin africain auquel les glorieux gérants avaient confié… les clés !!!

1)Ph. Dagen, » L’art en mouvement de Franck Scurti », le Monde, 25 Juillet 2020, p.16.

(2) Voir à son sujet le Grain de Sel paru dans la revue papier Artension de septembre/octobre 2020.

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