« La démocratie en France a-t-elle définitivement disparu ? » se demande Louis-Albert Serrut qui, sans le prévoir, fait écho au dossier du magazine Causeur de janvier 2012. Le titre du magazine parlait en effet de lui-même : « Nous l’avons tant aimée, la démocratie ».
En parler au passé montre assez qu’une certaine idée de la démocratie en France a passé et qu’elle ne subsiste plus, pour certains, que comme la nostalgie d’une époque quasiment révolue.
Dans Naissance d’une dictature, Louis-Albert Serrut constate la métamorphose de la démocratie en France en une dictature non violente. La « dictature post-démocratie », comme il l’appelle, « n’est pas une dictature qui s’instaure dans la violence et le coup d’État mais par la transformation discrète de la démocratie, celle-ci étant un préalable nécessaire. (…) La dictature post-démocratie maintient les institutions de pouvoir et de contrôle mais les façonne pour les mettre à son service. »
Avant d’en parvenir à ce constat, Louis-Albert Serrut passe en revue toutes les entorses à la démocratie et à la liberté qu’a commises le chef de l’État. Destruction du service public, anéantissement de la culture, prise en main des médias, mise au pas de la justice, mainmise sur le pouvoir législatif, réduction des individus à des groupes ou des castes, division de la population, gestion de l’État comme une entreprise où prédomine la culture du chiffre.
Si nous sommes évidemment loin de subir une dictature à la Kadhafi ou Bachar Al-Assad, la dictature qui s’instaure en France est fondée sur un principe qui lui tient lieu de programme : le mépris des individus. Fonctionnant sur le même schéma que les grandes entreprises que Nicolas Sarkozy tient pour les plus belles réussites de la France, la dictature post-démocratie impose comme seuls paradigmes valables les statistiques, les pourcentages, les rendements économiques, imposés aux individus subalternes dans des discours lénifiants et insensés, si dépourvus de tout humanisme et de toute signification que les bras, aux citoyens comme aux employés des grandes entreprises, en tombent.
« Le premier des instruments est le mépris. Le dictateur fait peu de cas du peuple, des citoyens. Il les méprise comme il méprise la démocratie et ses règles de représentation, les scrutins, les élus et le dialogue social.
Le second est la vitesse. Véritable instrument stratégique, il consiste à produire de manière incessante des décisions, des lois, des réformes dont la succession rapide annihile et épuise toute possibilité de réflexion et de contestation. Lorsque celles-ci ont mûri, c’est un autre sujet déjà qui fait l’actualité. »
Nous le voyons bien, le discours est devenu significativement le même dans les grandes entreprises que seules la rentabilité et la satisfaction des clients intéresse et au sein de l’appareil de l’Etat.
Tout cela a été rendu possible par la promotion de la masse et du nombre au détriment de l’individu, jugé trop complexe, et auquel on préfère la foule, plus malléable, plus caricaturable. « Le recours au nombre pour définir l’individu est entré dans les habitudes par le biais du marketing et du vote. Le marketing commercial a contaminé la vie démocratique et, migrant d’une notion à l’autre, il a transformé le débat en marketing électoral. »
Vers un Etat totalitaire
« Dans une société où tous les liens originels sont dissous ; où les religions n’apparaissent plus au peuple et aux élites que sous l’aspect de survivance sociale ; où les classes nées du développement économique définissent arbitrairement des masses inorganiques, dont les individus n’ont en commun que l’argent ou le défaut d’argent ; où les partis se multiplient et s’entredéchirent au hasard d’un jeu politique de surface ; où les élites parlent un langage que les masses sont en mesure d’entendre, mais non pas de comprendre (et c’est souvent heureux) ; où l’Etat devient le seul représentant du bien commun, mais ne se manifeste plus que par les feuilles d’impôt, l’armée et la police ; où tout principe d’union sociale et spirituelle, toute commune mesure a disparu, – dans une telle société il est fatal que se répande par les masses et que s’installe au cœur de chaque individu une angoisse, – d’où naît un appel.
C’est à ce formidable appel des peuples vers un principe d’union, donc vers une religion, que les dictateurs ont su répondre. Tout le reste est littérature, bavardage de théoriciens, ou ce qui est pire, de « réalistes ».
Ces lignes ont été écrites par Denis de Rougemont en 1938, en conclusion de son Journal d’Allemagne tenu entre 1935 et 1936, dans lequel il assistait en essayant de le comprendre, à l’avènement du nazisme en Allemagne et surtout à l’installation d’une dictature totalitaire. Il est assez étrange et pour ainsi dire terrifiant de constater à quel point son analyse s’applique parfaitement au temps présent.
Denis de Rougemont met en lumière, tout comme le fait Louis-Albert Serrut dans Naissance d’une dictature, l’écart creusé entre le peuple et le dictateur, servi par tout un appareil d’Etat, un écart rendu possible par la subversion du sens qui permet la manipulation du peuple. Remplacez la culture, la connaissance, la curiosité intellectuelle, la création artistique, la pensée critique par des mots d’ordre et des slogans simplistes et vous manipulerez aisément tout un peuple. C’est ce qu’ont fait tous les dictateurs. C’est ce à quoi s’astreint le chef de l’Etat français.
« Le chef de l’Etat pratique la « désémantisation », c’est-à-dire vide les mots de leur sens ou change celui-ci. La régression sociale est dite modernisation, les services publics deviennent des entreprises à capitaux privés, le TEPA vaut justice fiscale, la révolution est capitalistique, l’atteinte aux libertés est qualifiée de sécurité, surveillance et contrôle sont synonymes de progrès, le progrès est l’appauvrissement de la majorité des citoyens, la connaissance et le savoir sont dangereux, la solidarité s’appelle charité et la compassion est la vertu du simplisme martial du chef de l’Etat. »
Référendum : un peu plus de démocratie ?
Dans un article publié en même temps que son Journal d’Allemagne, Denis de Rougemont nous éclaire une fois de plus sur l’intention à peine dissimulée de Nicolas Sarkozy lorsqu’il propose d’avoir davantage recours au référendum. Si celui-ci est nécessaire au fonctionnement de la démocratie, il prend valeur, quand il est unilatéralement décidé par le chef de l’État, d’un plébiscite par lequel ce dernier cherche à asseoir son autorité et se donner une vraie légitimité. Si M. Sarkozy propose au peuple de voter, ce n’est pas parce que l’avis de ses concitoyens l’intéresse (nous avons bien vu quel cas il faisait du vote des Français par référendum lors du traité de Lisbonne) mais parce qu’en faisant adopter une mesure qu’il aurait lui-même proposée, il forge ainsi l’opinion et s’appuie dessus. Bien évidemment, comme Hitler le fit en son temps, prétextant que le peuple ne pouvait pas s’intéresser à tous les partis et toutes les propositions et qu’un vote par plébiscite clarifierait les choses, Nicolas Sarkozy ne provoquera ce genre de vote que s’il est sûr de l’emporter. Ou de pouvoir s’asseoir dessus.
« Là où le referendum , n’existe pas, comme en France, on ne saurait parler sans sophisme de démocratie : les pouvoirs délégués échappent à tout contrôle, ils sont perdus. Mais là où le referendum ne peut être provoqué que par le gouvernement, comme en Allemagne, on ne saurait parler sans sophisme d’un contrôle du pouvoir par le peuple : c’est le pouvoir qui se confirme lui-même, et persuade au peuple d’abdiquer. […] Le plébiscite est donc un referendum contrôlé – pratiquement : un referendum truqué. […] le referendum n’est possible en Suisse, il n’est « démocratique » que dans la mesure où le fédéralisme suisse subsiste, et où l’Etat centralisé n’a que des pouvoirs limités, ne « fait » pas l’opinion publique. »
Que faire ? se demande donc Louis-Albert Serrut. L’ennemi de la démocratie est avant tout celui qui centralise les pouvoirs, qui les tient tous dans sa main. Rendre aux citoyens, aux individus le pouvoir qui est le leur ; les tenir pour garants des institutions et mettre en place une nouvelle constitution qui concentre moins les pouvoirs aux mains d’un seul (la constitution de la Ve république a été taillée sur mesure pour de Gaulle ; elle peut être dangereuse pour un chef d’État moins scrupuleux de la liberté et de la dignité des Français) ; faire place à davantage de démocratie en décentralisant. Une fois de plus Rougemont l’avait parfaitement compris : « Nous sommes contre la centralisation, contre l’étatisme, contre le nationalisme étatisé […] Parce que nous sommes pour le fédéralisme communaliste, pour l’exercice de l’autorité sur place, par des hommes responsables qui savent ce qu’ils font, dans un cadre qui soit à mesure d’homme. »
C’est certainement à cette condition que la démocratie peut encore être sauvée : en décentralisant et en replaçant l’individu au centre des préoccupations politiques ; en appliquant ce qui est appelé le principe de subsidiarité et en cessant de confondre l’être humain avec une foule informe.
Louis-Albert Serrut, Naissance d’une dictature, 136 pages, éditions de la Différence.
Première parution le 10 mars 2012 à 8 h 13 min
Bonjour,
Je suis d’accord du fait que nous sommes sous le régime de la dictature….
Je soutiens les citoyens français et je pense qu’il faut se réunir pour cesser tous ces interdits et apprendre à vivre avec la Covid 19 tout en respectant les gestes barrières…
La France est plus qu’endettée et nos commerçants sont à l agonie il se doit de changer notre gouvernement et très vite…
Merci de m’avoir permise de m’exprimer…