Le Relais Bernard Loiseau, le flambeau porté haut

Dans son dernier livre, La revanche d’une femme, Dominique Loiseau revient sur l’oeuvre d’une vie qui demeure éclatante de réussite, sans être pour autant un long fleuve tranquille.
L’existence d’une femme de tête et de coeur qui n’a jamais failli, même au coeur de la tempête, alors qu’un jour de 2003, Bernard Loiseau se donna la mort.
Savoir ployer sans rompre, se relever et traverser l’épreuve afin de mener la Maison Loiseau au firmament alors même qu’elle aurait pu s’écrouler, telle est la leçon de ce récit à mettre entre toutes les mains.

Un témoignage édifiant et émouvant.

L’épouse de Bernard Loiseau, chef triplement étoilé, référence internationale, revient sur la mort de son mari, bourreau de travail, artiste hyper-sensible et angoissé.
«En réalité, il n’avait pas eu le temps de vivre. Il avait gravi la montagne, acquis une célébrité exceptionnelle et, arrivé au sommet, il n’en revenait toujours pas.»

Soigné pour la dépression depuis quelques mois, il se mit à diminuer les doses et se mit à ouvrir le Relais Loiseau sept jours sur sept.

«Durant le dernier hiver, il a évoqué l’idée de faire une cure de sommeil. Je n’ai pas véritablement compris ce qu’il souhaitait. Et puis, nous sommes passés à autre chose: c’était un tel battant qu’il était inconcevable d’imaginer qu’il puisse sombrer. Pourtant…»

Peu à peu, Bernard Loiseau déconnecte et reste extérieur aux choses du quotidien, signes de dépression.
Il demande à sa femme de tout arrêter : qu’elle redevienne journaliste et lui, s’occuperait des enfants. D’autres propos inquiétants dans les jours précédents son geste fatal montrent que son état se dégradait rapidement, notamment suite à l’article de François Simon dans Le Figaro, laissant entendre qu’il allait perdre sa troisième étoile, alors que c’était faux…
Il ne cessait de répéter dans les jours précédents son geste fatal : « les médias veulent ma peau »…

Le récit sobre de sa femme découvrant Bernard Loiseau mort dans leur chambre est poignant :
«Je ne pourrais décrire ce que j’ai ressenti à ce moment-là. Je me suis mise à prier quelques instants et puis je l’ai embrassé. Il était retombé en arrière après s’être donné la mort et l’on ne voyait pas les traces d’impact situées à l’arrière de la tête. J’ai toujours respecté les choix de mon mari. Je ne pouvais qu’accepter.»
«Au restaurant pour le dîner, le service a été maintenu. Les clients allaient arriver, il s’est agi de ne pas gâcher le bonheur des présents, ce que Bernard aurait souhaité. Les équipes de salle et de cuisine seraient prévenues plus tard. J’appelais ma mère en premier, elle m’assura de sa présence à Saulieu le lendemain.»

Avec la force d’âme qu’on lui connaît et sans plus faillir, Dominique réagit dès le lendemain :

«Au cours d’une déclaration publique le lendemain, j’expliquai que Bernard avait mis fin à ses jours par épuisement. J’annonçais que nous allions continuer l’œuvre de Bernard, sa disparition ne condamnant ni son établissement ni la qualité des prestations.»

Patrick Bertron, l’homme en or du Relais Bernard Loiseau

Fait édifiant qui aide à comprendre l’atmosphère harmonieuse de ce Relais et Château : toutes les équipes firent front autour de Dominique Loiseau, le Maître d’hôtel en passant par toute la Brigade de cuisine ou encore l’ami de toujours et comptable Bernard Fabre, et bien sûr, Patrick Bertron en tête, après 21 ans de fidélité en tant que second aux côtés du maestro de la Côte d’Or. Le Chef a su rester dans la ligne de la cuisine de Bernard Loiseau tout en enrichissant la carte :
Breton ayant adopté la Bourgogne, il n’hésite pas à lier terre et mer et surtout à utiliser tous les produits du terroir.

Il garde plats emblématiques du Relais Bernard Loiseau telles que les jambonnettes de grenouilles à la purée d’ail et au jus de persil, le sandre à la peau croustillante sauce au vin rouge, le Saint-Honoré cuit minute à la crème chiboust et la rose des sables à la glace au chocolat.

Mais il introduit des plats comme le Boeuf de Charolles et des poissons superbes comme le Lieu Jaune cuit aux herbes du Morvan et truffes avec une maîtrise absolue. Ou encore le Saint-Pierre à la menthe aquatique !

Patrick Bertron a pris un tournant cette année : l’introduction quasi systématique des plantes sauvages dans ses plats, du végétal, constitue une sorte de révolution qui pare d’une fraîcheur inhabituelle les fondamentaux. Tel le Foie Gras de Canard poêlé et Melon…, une réussite parfaite et vertueuse où tous le produit est utilisé (comme la peau donnant lieu à une chips d’une grande douceur).
On comprend mal la rétrogradation du Michelin en 2016 persistant en 2021 alors que la carte tend à l’équilibre quasi parfait entre l’âme culinaire des lieux grâce aux grands classiques de Bernard Loiseau et une carte enrichie avec des mets aussi subtils que « La Queue de Homard, carottes sauvages et thé du Mexique » ou  « le Bœuf de Charolles au maïs frais et jus au regain ».

Cette perte d’une étoile permit sans doute au chef de prendre une liberté plus assumée et fut une chance. Aujourd’hui, elle nous semble n’être qu’une injustice.

Et puis, le chef Bertron, crée avec maestria la rupture dans la continuité. Bernard Loiseau ne célébrait-il pas déjà le jus de persil de ses jambonnettes de grenouilles, presque aux accents de chlorophylle…

Dernier mot sur le sublime plateau de fromage qui malgré de généreuses agapes vient vous chatouiller délicatement les narines et vous fait replonger dans l’assiette, à la découverte des spécialités bourguignonnes… ou pas, chèvre ou vache…

Et notre hommage ne serait pas complet si l’on ne citait pas la carte des vins – que dis-je, la Bible, tant l’objet est volumineux et fourni !

Il nous apparaît qu’il faut être doté d’une force de caractère et d’une humilité incomparable pour s’affirmer en douceur pendant plus de 17 ans dans un établissement qui reste incontestablement marqué par la griffe et le souvenir de Bernard Loiseau. Une volonté sereine, à l’image de l’atmosphère calme, concentrée et joyeuse que j’ai pu observer en cuisine.

On attend le travail du nouveau chef pâtissier – unique défection, suite aux péripéties des fermetures intempestives du Covid 19… Affaire à suivre…

 

Une ombre au tableau de ce portrait presque parfait, de cet hôtel aux matériaux nobles et à l’âme certaine, tant le goût de Bernard et Dominique a permis de rénover et recréer une demeure comme si elle avait des siècles… ? Oui, car il en faut bien une : le petit déjeuner n’est pas tout à fait à la hauteur d’un cinq étoiles, plat et sans surprise (et surtout avec moults suppléments). Un écueil dont le chef est conscient et qu’il m’a promis de revoir… D’autant que l’on se souvient que l’établissement avait reçu un prix du « meilleur petit-déjeuner » dans le passé. 

Le Relais poursuit son chemin d’excellence française en famille, avec Bérengère à la direction, Dominique en tant que présidente et Blanche, la pâtissière, en formation dans les cuisines.

Vous disiez, cher Bernard Loiseau, « le plus dur, ce n’est pas d’arriver; c’est de durer ! ». Et voyez, au fond, vous avez réussi.
Longue vie à la Maison Loiseau.

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