Christian Millau, regard croisé

Alors qu’est paru à l’automne,  Christian Millau, une vie au galop (Le Rocher), livre d’hommage à notre ami Christian Millau, avec la contribution de deux membres de CultureMag, Christian Jonquères et Salsa Bertin, et d’un panel de personnalités telles que Frédéric Vitoux de l’Académie Française ou encore les chefs Guy Savoy ou Michel Guérard, le versant littéraire de cet homme hors du commun reprend vie, ici, sous la plume de Christian Jonquères pour nos lecteurs.

Nous nous sommes quittés par une douce soirée d’août, l’estomac heureusement rempli et l’œil allumé par un Gevrey-Chambertin à robe soyeuse. Un peu lourds, toujours joyeux, nous cheminions ensemble pour ce que j’ignorais être nos derniers pas partagés, vers un taxi à destination du Paradis des Heureux de ce monde, dans lequel, comme cela apparaît dans Nouvelles de mes nuits, vos amis, Morand, Blondin, Marceau bien sûr, Roger Nimier s’étant réservé la place du chauffeur, le pied déjà enfoncé sur l’accélérateur, piaffaient d’impatience.
En y songeant, ce taxi aurait dû être roulotte pour accueillir également Jacques Chardonne, témoin à vos noces, Paul Léautaud et quelques matous, Chester Himes, Cendrars s’improvisant cocher de sa seule main amie.. Michel Déon était alors encore parmi nous. Nul doute qu’il n’aurait autrement chevauché gaillardement votre attelage de Poneys sauvages de Pur-sang irlandais. 
Au volant de ses Guimbardes de Bordeaux Stephen Hecquet aurait suivi cet improbable convoi, cet aréopage bigarré, dans un concert impétueux de klaxons. Non, une roulotte n’aurait pas suffi, une mue en autobus à impériale pour voie royale s’imposait. Orson Welles y aurait pris place, calé sur deux sièges et demi, le talent ayant parfois l’indélicatesse de déborder autour de lui.
Une batterie de chefs renommés et leurs brigades au garde-à-vous auraient assuré l’ambiance, par des chansons à boire et à manger, ponctuées par la rythmique des casseroles en cuivre valant les tambours de la Vielle Garde. Arlette, cette chère Arlette, impossible de l’oublier, rencontrée dans le ciel et qui fut un ange toute sa vie, avant d’en porter désormais les ailes, aurait été la plus charmante des hôtesses.
Il existe des cortèges plus conventionnels.

Tous ces personnages et tant d’autres se croisent encore, puisque votre plume réalise le miracle de les maintenir bien en vie, dans votre Galop des Hussards (de Fallois), votre Journal impoli (Le Rocher) ou votre dernière ruade, Ravi de vous avoir rencontré (de Fallois), où la nostalgie se mêle si joliment au tourbillon des ans. Paris m’a dit (de Fallois) ressuscite ainsi les années cinquante, comme si nous y étions et peut-être mieux encore. Nous y retrouvons votre œil malicieux, ce regard délicieusement  pétillant qui signait votre incroyable curiosité.

Frédéric Vitoux ne s’y est pas trompé, lui qui ouvre ainsi le livre vous rendant hommage, Christian Millau, une vie au galop (Le Rocher) :
« un regard vif, scrutateur, intense, à qui rien ne semblait échapper, qui décelait les petites ironies de la vie, dévoilait les ridicules de ses contemporains, mais s’arrêtait aussi sur tout ce qui pouvait enrichir ses intérêts, justifier ses admirations. ».

Alors que nous échangions notre dernière poignée de mains, ce regard était incroyablement chaleureux, profond et lumineux à la fois.
La vie recommençait.

François Jonquères

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