Charles Exbrayat, « Douceurs provinciales » dans le rétro

Pour nous, Christian Jonquères exhume l’oeuvre de Charles Exbrayat, auteur magistral et un peu oublié. A relire d’urgence, vous verrez, vous en sortirez réconfortés !

Dans les années soixante-dix, pas de pétrole mais encore des idées, les adolescents avaient une chance folle. Ils enquillaient gaillardement les whiskies au Fier Highlander, en compagnie de Ted Boolitt et de William McGrew, faisaient le coup de poing, horions sans frontière, sous les ordres d’’Imogène Mc Carthery dont l’ire vengeresse retombait volontiers sur Archibald Mc Clostaugh, que la providence s’était amusée à faire naître – on se demande un peu !-  dans les Lowlands.

Les yeux brillants, ils rêvaient ensuite à Zakopane, aux Filles de Folignazzaro, parcourraient  le Barrio Chino, à la suite de Paco, pour se retrouver bientôt embrigader dans une subtile affaire d’espionnage, balles et belles sifflant à leurs oreilles ou, tous les goûts étant dans Dame Nature, attabler Au «Trois cassoulets » à discuter des vertus d’un robuste Cahors, à moins que L’honneur de Barberine  ou une Sainte Crapule ne s’invitent aux débats.

Charles Exbrayat a ensorcelé nos vertes années, en accumulant autour de nous des cadavres de papier devenus compagnons de route. Je me revois encore achevant la lecture Des Messieurs de Delft, au final si troublant, ou hypnotisé par celle d’Un joli petit coin pour mourir, sommet de tendresse et d’humour.

Plusieurs décennies ont passé. Callander, patrie d’Imogène, est une ville tranquille et Vérone vit plus au souvenir de Roméo et de Guiletta qu’à celui des époux Tarchinini. Quel grand malheur que le cinéma et la télévision ne se soient pas plus intéressés à l’œuvre magistrale d’Exbrayat ! Une ravissante idiote, BB en bombe artisanale, avait tenu toutes ses promesses.  Pas de caviar pour tante Olga (adaptation de Jean Becker de Espion, où es-tu ? M’entends-tu ?) connut moins de succès et, dernièrement, Catherine Frot n’a pas réellement convaincu dans le rôle pourtant magnifique d’Imogène McCarthery. Imaginons un instant Pascal Thomas adaptant La nuit de Santa CruzL’inspecteur mourra seul ou, mieux encore, les romans France profonde, des Dames du Creusot à Félicité de la Croix-Rousse, en passant par Les amours auvergnates. La France souriait alors au monde, ses campagnes étaient prospères, ses traditions respectées. Nous étions entre nous, sortis du même tonneau, auquel on s’abreuvait comme à La Fontaine. Comme cela semble loin désormais, ces témoignages n’en sont que plus précieux. Exbrayat a décidément sa place aux côtés d’Agatha Christie et de Georges Simenon, même si son œuvre n’est pas limitée aux presque cent policiers qui nous font toujours vibrer.

Né à Saint-Etienne, le 5 mai 1906, mort dans cette même ville,  Exbrayat y est aussi revenu dans plusieurs de ses ouvrages dont les incontournables Jules Matrat et Des parfums regrettés qui, soutenus par la fresque Les Bonheurs courts, forment la partie littéraire stricto sensu de son œuvre. Notre époque mêlant inconsidérément les genres, accueillons le policier au sein de la grande famille où il a rang de prince héritier.

Jules Matrat aborde un aspect peu souvent traité de la Grande guerre, celui des familles à l’arrière, qui ne vivent plus que dans l’attente d’un permissionnaire ou d’un courrier annonciateur de désastre. Chacun a sa propre  guerre : « Le gouvernement, il s’en fout pas mal ! Pourvu qu’il vous tue vos enfants et qu’il vous vole vos bêtes, le reste ça lui est égal ! »
Les jeunes conscrits, eux,  sont emportés par des vagues de folie : Jules « ne pouvait plus penser à autre chose qu’à tuer et à éviter d’être tué .» « Il tuait pour tenter d’arrêter le saccage  de la forêt bien plus que pour reprendre les provinces perdues par ses anciens
Ce roman a sa place entre Le Feu d’Henri Barbusse, Les Croix de bois de Roland Dorgelès, Orages d’acier du grand Jünger et A L’Ouest rien de nouveau de Erich Maria Remarque. Saint-Etienne y apparaît même en phare au bout de la nuit noire, la famille Matrat exploitant ses champs à quinze kilomètres de là. C’est le Marché des Ursules, l’avenue Denfert-Rochereau remontée quatre à quatre. Mon Dieu, quelle folie que la guerre !

Des parfums regrettés plonge, quant à lui, au cœur de l’enfance de Charles Exbrayat, dans ses racines, et fait revivre le Saint-Etienne du début du siècle dernier, ville noire, de mineurs. Le 38ème d’Infanterie parade de la place Bellevue à la Terrasse, le pâtissier Roure, place de l’Hôtel de ville, fédère les gourmands.
« On allait à la messe même si, en sortant de l’office, on buvait quelques canons en vantant les bienfaits de l’anarchie dont chacun, en son particulier, avait horreur ».
Les rues  bruissaient d’un « silence troué d’échos humains : la sonnette du marchand de charbon, le cri sans cesse répété du patère ou chiffonnier, l’appel du vitrier, du raccommodeur de faïence et de porcelaine et, à la belle saison, le flûtiau du vendeur de fromages de chèvre qui déambulait dans les rues entouré de ses biquettes.. ». Sans doute  le gaga, idiome local mystérieux, s’invitait-il lorsque les Stéphanois prenaient le tram place Dorian pour rejoindre le Rond-Point « où la campagne poussait ses avancées ».
Exbrayat, c’est cela, une douce musique, la nostalgie à fleur de peau, le rire toujours en embuscade. Sans doute était-ce mieux avant, sauf pour les guerres mondiales bien sûr.

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