Il y aurait un coup de froid sur le produit des ventes mondiales de l’Art contemporain qui se rétracte de -15%. En cause, la fin de la fièvre acheteuse post-covid et le manque de collections phares aux enchères du premier semestre.
Sur la sellette aussi, les NFT qui, après une irruption spectaculaire en 2021, s’effondrent, l’offre dépassant la demande avec des scandales financiers en sus : détenus par 23 millions d’investisseurs, 95 % des NFT n’auraient plus de valeur.
Coup dur aussi pour Bernard Arnault dont le patrimoine aurait fondu de 60 milliards de dollars. En 2022, il était devenu première fortune de la planète devant Elon Musk ; en 2023 les milliardaires de la tech profitent des retombées boursières de l’intelligence artificielle, guère ceux du luxe lié à l’Art.
Ajoutez les effets de l’inflation et la remontée des taux d’intérêt qui gênent les collectionneurs habitués à emprunter facilement pour investir dans l’art ; plus, pour un autre segment du marché, les problèmes de l’immobilier (on déménage moins, on décore moins) et vous obtenez « une crispation du marché ».
Revoir Paris
Cependant si Usa, Chine et Royaume Uni dominent, Paris est revu à la hausse, talonnant sa rivale Londres, à la faveur du Brexit : la France, 4e sur le marché mondial avec 5 milliards de dollars de transactions, représente 50% des transactions d’art en Europe (1). D’où l’arrivée de grandes enseignes internationales comme la galerie suisse Hauser & Wirth ou les Brésiliens de Mendes Wood (dans le 8e et place des Vosges). Suit le déplacement de plusieurs ventes publiques de Londres à Paris, aux scores faramineux : « La valse hésitation », tableau de René Magritte, part à plus de 11 millions d’euros chez Sotheby’s -Paris et le Rhinocrétaire (1964) de François-Xavier Lalanne s’envole au prix record de 19,4m$ chez Christie’s-Paris.
Vous ajoutez la riche programmation parisienne (rétrospective Rothko), plus le gouvernement qui maintient l’application du taux réduit de TVA sur les œuvres d’art, un moment menacé, et tout est en place pour un bon cru de la foire Paris+, organisée par la puissante Art Basel (20/22 octobre, sous les voûtes en bois du Grand Palais Éphémère (2)) : selon les organisateurs, il se serait vendu pour 55 millions d’euros d’œuvres le premier jour contre 50 millions en 2022, bref un marché « résiliant ».
Ombres au tableau
Art Basel a supplanté la Fiac en promettant d’encourager la scène française via le mythique « ruissellement » : la réussite financière de la puissante foire profiterait aux jeunes, en faisant découvrir des artistes, notamment français, que les étrangers ne connaîtraient pas autrement. Art Basel a effectivement renforcé la présence des collectionneurs étrangers et des grandes galeries internationales (86 % des exposants parisiens sont à Bâle et à Miami).
Mais si les galeries internationales cartonnent vite, des galeries parisiennes peinent un peu. Une seule des deux compressions monumentales de César serait vendue et un échiquier en bronze de Germaine Richier n’avait guère intéressé, de même qu’un dessin de Dalí (Buste à tiroir, 1937). Emmanuel Perrotin, évasif sur les ventes réelles, affiche certes « beaucoup d’enthousiasme en ce premier jour ». Daniel Templon avance la vente d’œuvres de Philippe Cognée entre 45 000 et 80 000 euros et une du Franco-Sénegalais Alioune Diagne pour 54 000 euros. Mais le Journal des Arts le concède : « les belles promesses d’une grande manifestation qui jetterait des passerelles vers la créativité à la française que sont la mode, le cinéma ou le jeu vidéo n’ont toujours pas trouvé de début de commencement d’exécution ».
D’où la faible représentation de la scène française dans les foires « off » spécialisées comme Design Miami / Paris. Sauf Moderne Art Fair ( galeries plutôt de second marché), les autres foires off sont surtout ouvertes à la création internationale (3). Et si la section « galeries émergentes » connaît un grand renouvellement puisque 11 des 14 marchands sont nouveaux, aucun nouvel arrivant n’est français (4).
L’Art caché
Á noter : plus des deux tiers des œuvres présentées étaient des peintures, une douzaine ayant suscité des achats dépassant le million d’euros ; on peut donc se demander où est passé une bonne partie de la création contemporaine « locale », de la peinture en particulier ? La réponse se trouve dans le livre d’Aude de Kerros qui trace le panorama complet de ce pan de la culture occulté par le système dominant : « L’Art caché enfin révélé, la concurrence de l’Art contemporain » vient de paraître chez Eyrolles, nous en reparlerons dans un prochain grain.
Christine Sourgins
(1) Malgré ce score, l’hexagone ne pèse que 8% du marché mondial (contre 3% il y a 20 ans).
(2) qui remplace jusqu’en 2024 le Grand Palais en travaux.
(3) Paris Internationale Asia Now et Also Known As Africa (AKAA).
(4) Les galeries françaises qui exposent à Art Paris au printemps sont absentes de cette semaine de prestige de l’art contemporain…
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