Le discours de Benoît XVI au Collège des Bernardins, dans son contexte même, peut être entendu comme l’expression symbolique d’une reconnaissance progressive dans le paysage français, de l’activité académique déployée par maints intellectuels chrétiens, mais aussi comme la confirmation de la réappropriation par l’Eglise catholique elle-même, de sa détermination intellectuelle.
Pendant de trop longues années pré- et post-conciliaires en effet, bien des universitaires catholiques, laïcs ou religieux, ont prêché dans le désert formé par la dilution éthico-politique du message chrétien ou, plus récemment, par la valorisation naïve de l’émotionnel en religion. Par un autre côté, la marginalisation politique de la culture portée par le christianisme, a atteint son point d’absurdité.
Dans un contexte en plein renouveau, désormais marqué en Europe par la coexistence pluri-religieuse et les demandes très en vogue de « spiritualités sans Dieu », le discours parisien de Benoît XVI doit être déchiffré d’abord dans la ligne des précédents textes de même niveau spéculatif : les encycliques sur l’amour (Deus caritas est, 2006), sur l’espérance (Spe Salvi, 2007) et bientôt sur la foi, bref sur les piliers de l’existence chrétienne que forment les trois vertus théologales aujourd’hui encore mal comprises. En même temps, celui qui fut l’éminent théologien Joseph Ratzinger et qui l’est resté dans son ministère papal, poursuit un dialogue philosophico-théologique (Rastibonne, 2006, La Sapienza, 2008) avec les plus grands représentants de la philosophie séculière, notamment J. Habermas, J. Rawls, les héritiers de l’Ecole de Francfort, il n’hésite pas à reprendre le débat avec plusieurs monuments de la modernité philosophique (Bacon, Spinoza, Kant, Hegel, Marx ou E. Bloch) et à engager le dialogue sur le terrain théologico-politique.
Par toutes ces séquences, se dessine un argumentaire sans arrogance mais d’une remarquable cohérence dont le discours des Bernardins donne une belle illustration. On le rendra ici en trois affirmations brèves.
1. L’Occident n’a pas seulement recueilli la contribution historique du christianisme, il a été, en bonne part, structuré par la vitalité de son message. L’angle sous lequel Benoît XVI a exprimé ce trait, celui de la vie monastique, permet d’apercevoir combien, par delà toute stratégie politique et idéologique, c’est l’intention première de chercher Dieu (quaerere Deum) qui a cimenté l’espace culturel concret dont nous bénéficions sans en avoir toujours la claire conscience. L’accent est mis ici sur la ritualisation de la méditation qui en a porté le destin ; il fait apparaître, par contraste, ce qu’on peut appeler l’effet actuel de dé-ritualisation ecclésiale.
2. La Parole biblique que l’Eglise porte en responsabilité, implique de la façon la plus nette, le refus de toute approche fondamentaliste, entendons par là tout établissement d’une relation directe, sans médiation, entre la lettre et l’action. Mais c’est, plus largement, le rapport à tout texte dit « sacré » qui est ici visé.
3. Car « l’universalité de Dieu et l’universalité de la raison ouverte à lui » constituaient pour les premiers chrétiens le fondement de l’annonce évangélique. Il ne saurait en être autrement aujourd’hui : l’universalité de la Révélation n’a pu et ne saurait être accueillie durablement sans l’activité de ce qui a été déposé germinalement mais universellement en l’homme : l’intelligence, la raison, la sagesse. Réciproquement : point de raison éthique, politique et scientifique qui sache longtemps préserver sa légitime revendication d’universalité si elle ne reconnaît sa dette mystérieuse.
Philippe Capelle pour CultureMag
Philippe Capelle, docteur d’Etat en philosophie et docteur en théologie, est professeur et doyen honoraire de la Faculté de philosophie de l’Institut Catholique de Paris. Il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la question des relations historiques entre la philosophie et la théologie.