Marcel Schneider, hommage à un chevalier du merveilleux


Écrivain, membre du Prix Médicis, musicographe critique littéraire et  critique de danse, Marcel Schneider vient de s’éteindre à 95 ans à Paris.
Il repose aujourd’hui auprès des ombres qui le hantèrent toute sa vie et qui avaient pour nom : Chrétien de Troyes, Rimbaud, Thérèse d’Avila, Marcel Proust, Jean Cocteau, Paul Morand, Marie-Laure Bousquet, Marie Laure de Noailles, Ernst Jünger, Marcel Brion….

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Citer son nom était comme un sésame pour accéder au merveilleux, au fantastique, aux mondes intérieurs. Marcel Schneider, homme de goût, héritier de l’ancien régime, fut un aristocrate du verbe, un romancier de l’âme, un chevalier sans royaume, excepté celui de la littérature et de la musique.

D’ailleurs son attirance pour la musique classique, lui qui publia des monographies sur Schubert et sur Wagner, il la devait à sa mère trop aimée, disparue quand il avait neuf ans, blessure qui ne se referma jamais tout à fait. Il aimait tant la regarder jouer du piano : « Pour moi, voir ses doigts courir sur le clavier, former des arpèges et des trilles, écrit-il dans son récit autobiographique Sur une étoile (Grasset, 1976), voir ses mains se croiser ou s’immobiliser en longs accords tenait du prodige et j’étais très fier d’avoir une mère si habile et si douée. (…) À mes oreilles tout sonnait Chopin, Beethoven ou Schumann, ses musiciens favoris ». Ainsi, la musique fut la clé pour atteindre le fantastique. Il n’avait pas encore lu Villiers de l’Isle-Adam, Gérard de Nerval (« Je suis le Ténébreux, le Veuf, l’Inconsolé… »), Rilke ni Novalis. Il connaîtra pourtant avant son adolescence ce qu‘il appellera le « tramonde », cet ailleurs «qui n’est ni l’espace du ciel ni l’opacité du tombeau », mais un véritable « espace lyrique » dans lequel il pourra rejoindre sa mère absente.  « Le royaume des morts, velouté comme la peau d’un ventre maternel… » dira  Albert-Marie Schmidt. Toute son œuvre raisonnera de cette découverte, de cette voie qu’il s’était tracé.

Fantômes et monde invisible

Car Marcel Schneider, aux portes du rêve, dans un état de poésie accompli, aura vécu dans les nuages, creusant son sillon dans un état de l’être différent, au-delà du réel, dans cet imaginaire qui était sa propre réalité. Il bravera la mise en garde de Jacques Chardonne : «  Ce goût que vous avez pour les rêves, les fantômes, les amours spectrales rebute les gens ». Et François Mauriac parlera alors de « la voie étroite » dans laquelle il s’était volontairement enfermé, craignant qu’il ne soit prisonnier de « l’obscurité », sur qui donnait l’impression de vivre  « sur une étoile ». Mais Marcel Schneider cultivait trop l’obstination pour céder à ces mises en garde. Le preux chevalier huilerait sa cuirasse et partirait en quête d’aventure et de merveilleux. Toujours mélancolique du temps où son père lui lisait L’île mystérieuse, enfant. Toujours fidèle aux « grandes espérances de sa treizième année », nostalgique de la conversation qu’il eut à seize ans avec André Gide (lui qui fut nourri au lait des Nourritures terrestres), venu le chercher au parloir du lycée Louis-le-Grand. Mais au-delà de cette enfance jamais perdue, il retint la leçon de cet « aîné capital » : « Il faut écrire pour se libérer, détruire ensuite pour se libérer de nouveau ». Dans Avec Marcel Schneider (éditions du Rocher), livre d’hommage qui lui fut consacré en 2005, Max Genève écrivit justement : « Vous ne trouverez pas chez le rêveur Marcel Schneider ni le scalpel analytique de l’exilé Milan Kundera ni le stylet assassin de l’imprécateur Thomas Bernhard ».

Dans le Dictionnaire des écrivains contemporains de la langue française par eux-mêmes, sous la direction de Jérôme Garcin, Marcel Schneider publia cette nécrologie anthume : « Il n’a fait carrière ni dans l’Université ni en littérature. Toute  carrière exige des sacrifices. Il aimait trop la vie pour perdre son temps à ce qui  l’ennuyait. Il préférait le rêve à la réalité, l’invisible au visible. Il a lâché la proie pour l’ombre. Cette obscurité a fait qu’il n’a rien écrit qu’il n’ait réellement vécu au fond de lui-même, c’est-à-dire imaginer. L’imagination était pour lui la réalité absolue. Rien ne le réalise mieux que le fantastique qui se résume en deux mots : peur et désir. (…) Il avait le sens du sacré, de la poésie et de l’amour. Voici son épitaphe :
« Il île aile
Éternité fragile
Sous l’aile de Dieu ».

On pense aussi au vers inédit de Cocteau qu’il aurait pu écrire : « Je me suis souvent caché derrière un ange ».

À lire absolument :


L’éternité fragile,
quatre volumes, (mémoires, Grasset)

Le Chasseur vert, premier roman initiatique qui fait l’éloge de la nature et des sens (Albin Michel)

Sur une étoile, récit autobiographique sur sa jeunesse (Grasset)

La fin du carnaval, nouvelles dédiées à la Venise flamboyante du XVIIIe  siècle avant l’arrivée de Bonaparte.

Mille roses trémières, son amitié avec Paul Morand, Gallimard

Moi qui suis né trop tard, son dernier autoportrait
(Grasset)

À paraître en février 2009 :

Il faut laisser maisons et jardins
, roman (Grasset)

2 Comments

  1. Crétin qui a écrit de Jean Ray : « Il est dommage qu’il ne se soit pas soucié de bien écrire.»

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