Y a-t-il une littérature péninsulaire ?

Si les grandes maisons d’édition prennent rarement le risque de publier une nouvelle forme de littérature qui pourrait sortir le monde des lettres françaises de son petit confort, il reste de plus modestes maisons pour faire ce travail comme Balland et L’Esprit des péninsules, menées par Jean-Claude Gawsewitch et Eric Naulleau.

Depuis un bon nombre d’années certaines maisons réputées sérieuses tablent sur la technique bien rodée du marketing pour écouler des livres au contenu proche du néant. Cependant, Flammarion et Grasset qui ont tenté à la rentrée un gros coup avec la correspondance de Michel Houellebecq et Bernard Henri-Lévy ont essuyé un relatif échec ; la mise Christine Angot et son désastreux Marché des amants n’a pas rapporté non plus les gains escomptés au Seuil et Jour de souffrance de Catherine Millet publié par Flammarion a déçu plus qu’il n’a suscité de scandale. Est-ce à dire que les lecteurs ne se laissent plus prendre au piège et que la vraie littérature serait sur le point de reprendre ses droits ? C’est du moins ce que le ratage partiel de ce genre de publications laisse présager.

Il est temps de réévaluer le roman

Plus discrète, de son côté, L’Esprit des péninsules, désormais rattachée à la maison JCG-Balland a publié en quelques années une poignée de romans et d’ouvrages critiques qui semblent poser les fondements d’une nouvelle pratique littéraire. Parmi ces auteurs « péninsulaires », qui laissent entrevoir une autre forme d’écriture possible et dont Pierre Jourde est la référence tutélaire, citons Olivier Maulin auteur de deux romans : En attendant le roi du monde très justement récompensé par le prix Ouest France / Etonnants Voyageurs 2006 et Les évangiles du lac ; Eric Bénier-Bürckel dont l’œuvre plus inégale n’en est pas moins un pavé jeté dans la mare de nos conformismes et Johann Trümmel véritable révélation de la rentrée de septembre avec un premier roman La marge molle.

Vers un nouveau réalisme ?

Ce qu’ont en commun ces auteurs ? Une écriture qui refuse d’endosser les oripeaux encombrants et tape à l’œil du néo-romantisme français mais aussi de succomber à l’anorexie de l’écriture blanche ou à l’exiguïté du minimalisme ; un style vif et décapant qui n’hésite pas à se confronter directement au réel pour évoquer, dans le cas d’Olivier Maulin le désenchantement du monde ou dans celui de Johann Trümmel le caractère grotesque de l’humain moderne quand il se prend au sérieux alors qu’il n’est souvent qu’abject ou médiocre et parfois pathétique dans ses aspirations à une vie idéale. Ces romanciers maîtrisent parfaitement la mécanique à créer du grotesque et du pathétique consistant à placer un personnage dans une situation qui révèlera un écart entre ce à quoi il aspire – et qui n’agit en lui que par la force d’un désir mimétique dont il est souvent inconscient – et ce qu’il peut obtenir. Et si « le grotesque est la plus riche source que la nature puisse offrir à l’art », selon Victor Hugo, c’est qu’il fait naître le rire qui est une manière de prendre du recul, d’atteindre le second degré.

Jourde écrivain et critique

Le rire, l’écriture acerbe, les personnages ridicules et touchants, la loufoquerie sont autant d’éléments qui font penser que le travail critique et romanesque de Jourde a influencé les romans de Maulin et Trümmel.
L’auteur de La littérature sans estomac, qui était apparue non seulement comme une critique de la critique littéraire conventionnelle mais aussi comme le manifeste d’une nouvelle vision de la littérature, publie aux Péninsules Littérature monstre qui rassemble articles, critiques et textes pamphlétaires dans lesquels il expose sa vision d’une littérature vivante et exigeante. Pour Pierre Jourde, depuis une trentaine d’années la critique a totalement déserté le domaine artistique, provoquant ainsi l’émergence d’une surproduction où le meilleur côtoie le pire et décourage le grand public, privé de tout repère et de toute échelle de valeur. C’est pourquoi il appelle à une nouvelle forme de critique aussi capable de s’embraser pour une œuvre de talent que de démasquer les impostures.

Pierre Jourde, Littérature monstre, L’esprit des Péninsules, 2008, 713 pages, 26,90 €

Voir aussi nos articles consacrés à La marge molle de Johann Trümmel, Le messager de Eric Bénier-Bürckel, Le Jourde et Naulleau de Pierre Jourde et Eric Naulleau et Les évangiles du lac de Olivier Maulin (dans les archives de septembre).

2 Comments

  1. Comment avouer mon contentement de faire la découverte d’une personne qui comprends le theme sur lequel il écrit. Votre article apporte beaucoup au débat. Les visiteurs gagneront à vous lire qu’ils soient experts ou pas !

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