Rodin : érotomane ou pornographe ?

L’érotisme est à la mode et s’expose. Depuis « Picasso érotique » au musée du Jeu de Paume en 2001, les expositions sur le thème de l’érotisme se multiplient.

Il y a eu les dessins érotiques de Klimt en 2005 ; l’exposition « Rodin. Dessins et aquarelles érotiques, 1890-1917 » en 2006-2007 ; « L’enfer de la bibliothèque : Eros au secret » l’année passée à la BNF ; « l’octobre érotique – exposition sur l’Eros à l’atelier Gustave à Paris » en octobre 2008 pour n’en citer que quelques-unes. Depuis le 6 mars, la Fondation Gianadda de Martigny accueille une nouvelle exposition « Rodin érotique » rassemblant, grâce au musée Rodin de Paris, une quarantaine de sculptures et quatre-vingt-dix dessins érotiques de celui qu’on a appelé le Michel-Ange de la sculpture.
Rodin, comme beaucoup d’artistes, a fait des dessins que l’on qualifie d’érotiques dont certains étaient destinés à illustrer Le Jardin des supplices d’Octave Mirbeau et Les Fleurs du Mal de Baudelaire et d’autres furent exposés à la fin de sa vie. Mais la Fondation Gianadda entreprend d’en présenter un certain nombre d’une collection plus ou moins secrète de Rodin, des dessins dont la bizarrerie (il s’agissait parfois de simples esquisses et il faisait prendre des poses extraordinaires à ses modèles) et le caractère explicitement sexuel choquèrent certains de ses amis artistes qui le prirent pour un fou et un obsédé sexuel.

Il y a effectivement chez Rodin une obsession du corps féminin dont témoigne une très grande partie de son œuvre, mais plus précisément du sexe de la femme, laquelle transparaît dans les dessins de ses quinze ou vingt dernières années. A cette époque, c’est toujours du sexe féminin, qu’il soit suggéré, esquissé, caché par une main, caressé ou même ouvert, que jaillit le dessin, le sexe étant dès lors le cœur de la vie, le premier plan et l’axe central autour duquel le reste gravite, comme un écho à l’origine du monde de Courbet. Il serait trop simple de figer Rodin dans la posture de l’érotomane ou du vieux satyre tel que l’a sculpté Charles Léandre, même si son besoin de femmes est indéniable et semble avoir cru avec l’âge. Chez Rodin, l’observation et la compréhension du corps de la femme, plus particulièrement de cette béance où se crée la vie, fait partie de sa volonté de transcription du mystère de la nature. La vitalité sexuelle est pour lui indissociable de la vitalité créatrice, en témoigne cette étonnante sculpture de Balzac, en qui il reconnaît un frère et un maître, qui le représente nu, tenant en main son sexe en érection.

Erotisme ou pornographie ?

À une époque où la pornographie s’affiche sur le web, les murs ou la télévision, violant continuellement nos regards ; à l’époque du porno chic et du mépris de la pudeur, l’érotisme se voudrait une manière de faire pénétrer l’art dans la pornographie. L’exposition de la Fondation Gianadda participe de ce mouvement qui veut mettre sur un plan d’égalité la littérature et la peinture érotiques – lesquelles ont toujours existé dans l’ombre – et la littérature et la peinture officielles, imposant la transgression comme norme artistique et lui faisant perdre dès lors tout caractère subversif. Dès lors que l’on multiplie ce genre d’expositions dans des lieux destinés au grand public, on évacue tout ce que ces œuvres peuvent contenir de mystérieux et de scandaleux, en en faisant des biens de consommation courants – une pornographie officialisée comme un divertissement de plus. Car consommer des dessins de sexe en grand nombre, indépendamment de la valeur de ces dessins, a tout d’une démarche voyeuriste. Mais comme la « pornographie » a encore une connotation négative, on préfère parler d’érotisme, ce qui choque moins.

Quelle démarche artistique ?

En dessinant ces corps de femmes offerts, ces sexes ouverts, Rodin condamne par avance sa quête à l’impossible. Comment représenter le plaisir et la jouissance ? Et le sexe féminin, ce trou, ce manque, cette absence ? Disséquer la femme comme il le fait, l’ouvrir, c’est immanquablement se confronter à la laideur du sexe, à ce qu’il a de repoussant, par-delà l’excitation et c’est en même temps blesser le corps de la femme, le violenter et l’humilier.
La plupart des dessins de l’exposition sont des travaux préparatoires ; ils sont l’intimité de Rodin, sa part secrète, des croquis pris sur le vif dont certains seront retravaillés plus tard, d’autres non. Ils sont les pensées immédiates de Rodin, un matériau brut qui donne à croire qu’il était toujours en quête de l’inaccessible mais ne forment pas une œuvre aboutie. Ils font pénétrer dans le secret de l’artiste, dans son atelier et ses fantasmes profonds mais, s’ils nous informent sur le travail de Rodin, ils nous laissent concevoir aussi les limites de cette quête.

Finalement, on se demande si cette exposition n’en est qu’une de plus sur l’œuvre érotique de Rodin (la dixième en vingt-cinq ans) ou si elle participe à un véritable projet de reconnaissance d’œuvres mineures du grand artiste.

PRATIQUE :

Rodin érotique, du 6 mars au 14 juin 2009
Fondation Pierre Gianadda, 59 rue du Forum 1920 Martigny, Suisse
Renseignements : +41 27 722 39 78 / info@gianadda.ch / www.gianadda.ch
Ouvert tous les jours de 10h à 18h
Tarifs : Adultes 12,5€ – Seniors 11€ – Etudiants 7€ – Famille 28€

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