Renaud Camus, Loin

/><b><span/Il y avait longtemps que Renaud Camus ne nous avait pas offert de roman. Loin doit donc être salué, tant pour la perfection de son écriture que pour sa trame narrative.

Loin condense en quelques trois cents pages les grands thèmes de l’écriture camusienne, laquelle se déploie depuis plus de trente ans sous de multiples formes, comme une impossible obsession, comme le combat déraisonnable que semble s’être imposé Renaud Camus et qui en fait incontestablement un de nos plus grands écrivains contemporains. Désertion d’un monde aimé qui semble s’être voué à sa propre destruction, délitement de la culture impossible à contenir, jeu sur les différents niveaux de langage, goût pour les paysages qu’offre la nature et pour l’architecture de l’homme, amour de l’art contrebalancé par la haine de la masse envers tout ce qui relève de la beauté et de l’harmonie : tout est présent dans ce roman et porté par une langue parfaite.

Loin est l’histoire d’une dérive, d’une disparition ; plus encore peut-être : d’une désertion. Celle d’un homme qui semble avoir renoncé à vivre dans un monde grignoté chaque jour davantage par la vulgarité et la grossièreté ; celle d’un homme forcé de renoncer à l’époque dans laquelle il vit et qui lui est trop différente. C’est en quelques mots l’histoire d’un homme inadapté, qui se réfugie dans les livres et la beauté de la campagne, dans un monde qui n’a jamais existé que dans un imaginaire poétique et idyllique, dans un passé anhistorique fantasmé. Cet homme, Jean, comme l’explique parfaitement son cousin, aristocrate qui a su adapter son mode de vie au monde capitaliste et libéral à l’inverse de Jean, est de « l’espèce des sans-espèce, de ceux qui sont sortis de l’Histoire, ou qui n’y sont jamais entrés ; les hors-caste, ceux qui n’appartiennent à rien, et qui veulent continuer comme ça » mais que la globalisation de nos sociétés pourchasse constamment un peu plus, les remisant à la marge d’un monde, sans cesse plus étroite.

Parti du sud de la France, Jean s’éloigne lentement de ce monde, comme un promeneur qui sait qu’il ne reverra sans doute jamais les paysages qu’il traverse et prend soin d’en goûter chaque instant de beauté. Sans jamais se fixer d’objectif, de but, il remonte peu à peu vers le Nord en évitant soigneusement les grands axes routiers, les grandes villes où il se sent en terrain hostile. Avant de finir dans une petite île reculée au large de l’Angleterre, il rencontrera une jeune fille qui partagera sa vie quelque temps, un cousin, l’ex compagnon de la jeune fille et d’autres personnages encore qui, chaque fois, le pousseront un peu davantage en marge d’un monde auquel il lui est impossible de s’adapter, dans la fuite qu’il s’est imaginée la moins spectaculaire possible, la plus discrète, et qui s’impose comme l’ultime liberté.

Il y a quelque chose d’éminemment romantique dans cette fuite, dans ce renoncement du monde ; mais d’un romantisme supérieur car maîtrisé, car résigné, libéré de tout pathos, de tout désir de révolte. Il y a même, au-delà, quelque chose du renoncement monastique aux biens immédiats et fugaces qui s’offrent comme autant de miroirs aux alouettes, pour leur préférer la contemplation. Il y a encore plus loin le désir d’évacuer le moi pour permettre le surgissement d’une réalité supérieure. L’effacement de l’homme au profit de l’œuvre, qui est peut-être la seule posture possible de l’écrivain comme le disait Maurice Blanchot.

Renaud Camus, Loin, édition P.O.L, 311 pages, 18,50€.

1 Comment

  1. J’ai moi aussi apprécié ce livre. Dommage qu’il écrit trop rarement des romans. Je suis un lecteur de son journal dont les thèmes se retrouvent dans ce roman. Je m’aperçois que les romans sont plus efficaces pour diffuser ses idées.

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