Gainsbourg, ce héros

/><b><span/Il était une fois l’histoire de Serge Gainsbourg. Vie héroïque est une épopée gorgée de fumées toxiques, de nuits sans sommeil et de douleurs secrètes. Mais aussi nimbée d’amour et de création jamais éteinte. Trop souvent réduit à sa seule part d’ombre, le fumeur de Gitanes n’en demeure pas moins un artiste fécond et empreint d’une lourde complexité.

Alors le pari de mettre en images un destin si tortueux pouvait paraitre imprudent. Voire-même suicidaire. Adapter la vie d’un créateur présente des dangers, des panneaux dans lesquels pléthore de réalisateurs tombent et continueront de tomber.
Àl’heure où l’industrie s’évertue à dépeindre les vices, et à traquer les moindres failles d’un personnage célèbre afin de flatter notre voyeurisme, Joann Sfar a juste choisi de raconter une histoire.

Mieux : un conte. Pas un de ces récits à prétention réaliste, se vantant de montrer la vérité nue d’un destin. Ni même un de ces innombrables fictions à tendance psychologique, tellement obsédées par le rationnel qu’elles en oublient de s’ouvrir au monde des affects. Ici, Sfar parvient à s’extirper du schéma traditionnel de la biographie imagée. L’oeil du spectateur scrute les étapes d’un itinéraire choisies arbitrairement par un réalisateur, et jugées révélatrices selon lui. L’évolution d’un homme dépressif et créateur, timide et exubérant, esthète et insoumis.

Déjà enfant, la clope au bec et le verbe haut, il se démarque. Attiré par la beauté des femmes et leurs promesses d’ailleurs, le petit Lucien qui n’est pas encore vraiment Serge, séduit et provoque. Allergique à l’autorité, il se joue des conventions, s’acoquine dans des cafés et garde un sourire aux lèvres plein de malice.
Mais ce sourire s’efface parfois. Déchiré entre son amour de la peinture et la nécessité de suffire à ses besoins élémentaires, Gainsbourg prit la décision de composer des chansons. D’abord pour les autres et surtout des femmes. Gréco, Bardot, Birkin ou enfin Bambou furent autant de muses que d’espoirs de liberté entrevue. Des moments de grâce tantôt jouissifs, tantôt déchirants.
Chacune des interprètes (Laetitia Casta en Bardot, Lucy Gordon en Birkin, Mylène Jampanoî en Bambou) insufflent sensualité et sensibilité au fil de la narration. Leur beauté, court-circuite la laideur présumée de Gainsbourg. Avec elles, il est beau.

Le traitement de la question du physique et de la noirceur subit d’ailleurs un traitement inattendu chez Sfar. Le « diable »(le « double » en latin), sorte de pendant ténébreux et caricatural de l’homme, qui le poursuit le long de son existence, peut a priori surprendre. Volontairement démesuré, il prend des dimensions fantasques et décontenance de par sa matérialité imposante. Pourtant cela renvoie directement à la logique du réalisateur.
Pas question de s’attacher à dénombrer avec précision le nombre de cigarettes fumées ni de verres ingurgités. Ni de décortiquer point par point les raisons qui pourraient expliquer le mal-être de Gainsbourg. L’idée repose plutôt sur une proposition graphique à la fois imaginaire et évocatrice. Un double fantasmé, allégorie de la dualité intestine de l’individu. Un personnage féerique qui révèle la réalité de la personne.
L’ambition peut donc parfois conduire à des résultats concluants. Le pari initial si risqué de peindre la vie d’un homme comme Gainsbourg a finalement tourné en réussite. Bien sûr certains trouveront des arguments contradictoires.

Bien sûr critiqueront le manque de cohérence entre divers séquences ou bien encore la revendication de la vision subjective du réalisateur. Mais justement. Joann Sfar ne s’en cache pas. Au lieu d’une tentative cérémonieuse et vantarde, il substitue une œuvre personnelle et fictionnelle. Un vrai conte avec son lot d’obstacles, d’antagonismes, d’amours contrariés et consommés et surtout avec un élément indispensable : un héros.

Guillaume Blacherois

Infos : Gainsbourg, Vie Héroîque , premier film de Joann Sfar, avec Eric Elmosnino, Lucy Gordon, Laetitia Casta. Sortie le 21 janvier.

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