Nabe, l’homme qui arrêta d’écrire

/Y a-t-il un malaise dans l’édition française ? Marc-Edouard Nabe y répond à sa façon. En s’auto-publiant.

Il y a quelques mois Richard Millet, écrivain reconnu et éditeur chez Gallimard, annonçait la création des Editions Fürstemberg, « petite maison tout à la fois secrète et visible, émanation d’une société de pensée sans statuts, uniquement soucieuse de se décaler, d’affirmer qu’on peut penser en dehors du culturel » (entretien donné à Chronic’art février 2010).

De son côté Marc-Edouard Nabe, après avoir annoncé qu’il était mort et qu’il ne publierait plus (voir notre article de mai 2009 : http://www.culturemag.fr/2009/05/26/nabe/), porte un nouveau coup à l’édition en s’auto-publiant et mettant en vente son dernier roman sur Internet, court-circuitant ainsi le schéma incontournable depuis un siècle : auteur, éditeur, imprimeur, diffuseur, libraire, lecteur.

En vendant directement L’homme qui arrêta d’écrire et quinze de ses précédents ouvrages sur les vingt-sept publiés pour la plupart aux éditions du Rocher, dont il a récupéré les droits à la suite d’un procès rocambolesque aux laboratoires Fabre qui ont racheté la maison d’édition, et bientôt six autres dont il est sur le point de récupérer les droits, sur son site www.marcedouardnabe.com, Nabe fait l’économie d’une partie de cette chaîne obligatoire, touchant désormais 70% des droits de vente, au lieu des 10% de moyenne consentis par les éditeurs aux auteurs.

Après quatre mois de mise en vente, Nabe aurait ainsi vendu plus de trois mille cinq cents exemplaires de son dernier roman, revendiquant la paternité du concept d’anti-édition.

Que Millet et Nabe, tous deux à leur manière et dans un style très différent, cherchent une alternative à l’édition telle qu’elle se pratique aujourd’hui en France doit interpeller sur son fonctionnement. Le système éditorial que nous connaissons vit-il ses dernières heures ? S’est-il suicidé à force de publier tout et surtout n’importe quoi pour faire du livre un bien de consommation comme un autre, bâillonnant les véritables écrivains en les noyant dans le flot indigeste d’écrits sans lendemain ?
Ou Internet est-il en train de porter le coup de grâce à l’industrie du livre comme il l’a fait à celle du disque ?

Il semble évident que tous ces facteurs soient à prendre en compte, que d’une part l’hégémonie de certaines maisons d’édition, qui rachètent les plus petites au fur et à mesure pour en faire les filiales de gros groupes en renflouant par ailleurs leurs caisses chaque année avec la saison des prix littéraires, a fini par étouffer les voix discordantes, celles qui n’entrent pas dans leur ligne éditoriale ; que d’autre part l’avènement du livre électronique et des sites de publication littéraire en ligne détournent également les lecteurs qui ne souhaitent plus tomber dans le panneau promotionnel cherchant à vendre chaque publication comme le livre à lire absolument.

Dans un sens, l’édition s’est tuée elle-même en vantant chacune de ses publications comme un petit événement, alors que les lecteurs savent bien qu’il ne peut pas y avoir autant de romans géniaux chaque mois et qu’il leur a suffi de se faire avoir deux ou trois fois pour ne plus croire à la publicité des petits rubans rouges qui entourent désormais la plupart des livres dans les librairies. Sans parler de certains « critiques » qui jouent le jeu de l’édition, en vantant les mérites de tous à tort et à travers.

Dans cette ambiance pour le moins anxiogène, l’anti-édition de Nabe apporte un souffle de fraîcheur et de renouveau, faisant espérer en un avenir de plus grande liberté d’écriture.

Mais parlons du roman. L’homme qui arrêta d’écrire relate une semaine de la vie qui aurait pu être celle de Nabe s’il avait vraiment arrêté d’écrire, ce qu’il avait annoncé et que beaucoup ont cru, certains l’en félicitant, selon ses dires, d’autres cachant mal leur joie, quelque uns leur dépit. Car Nabe, malgré un cercle d’admirateurs frôlant l’adoration, est loin d’être l’écrivain le plus aimé de France. Multipliant les provocations, les insultes et les propos incorrects depuis ses tout débuts, il a tout fait pour endosser la posture d’écrivain sulfureux et maudit de ses maîtres Rimbaud, Lautréamont ou Céline.

Bien naïfs furent ceux qui crurent qu’un écrivain pouvait arrêter d’écrire.

Le roman commence donc au premier jour de la vie de non-écrivain du narrateur pour s’achever à la fin de la semaine, comme si ne plus écrire était pour lui une sorte de recréation du monde. De son monde en tout cas, car notre ancien-écrivain-narrateur semble atterrir dans le Paris des années 2000 comme s’il n’avait pas mis le nez dehors depuis des décennies, ce qui confère aux premières pages du livre un ton décalé, donnant l’illusion d’être dans un roman d’anticipation.
Et c’est un des aspects les plus intéressants de ce roman, car à sa lecture on éprouve dès le début la sensation d’être plongé dans un monde futur et fantasmé, alors que rien n’est plus réel que le Paris décrit dans L’homme qui arrêta d’écrire, qu’il ne s’agit que du monde dans lequel nous vivons quotidiennement, mais que tout va si vite, que le virtuel prend le pas sur le réel à une telle mesure, que nous ne nous rendons plus compte, parfois, de ce qu’est notre vie.
C’est grâce au recul que fait prendre le roman, par la narration d’un certain nombre d’événements parisiens, par la description du mode de vie de ses habitants et par la naïveté forcée du narrateur, rappelant celle des contes philosophiques du XVIIIe siècle, que nous parvenons à voir réellement notre monde et à le questionner.

Du monde virtuel dans lequel évoluent de plus en plus de gens, par les jeux vidéos, Internet, les réseaux sociaux, les sites de rencontre, les blogs, à la disparition progressive des rapports humains illustrée notamment par l’absence de désir, la multiplication des no sex qui se réunissent pour regarder des vidéos pornos sans jamais consommer, en passant par les lieux éphémères du Paris noctambule, c’est à une dissection de la ville lumière que nous fait assister Nabe. Pour le narrateur, Paris semble perdre de plus en plus de vie vraie, à tel point qu’il se demande ce que Proust pourrait encore en dire. Ce roman est donc une belle gifle administrée aux lecteurs repus de petites histoires mélo-dramatiques gnangnan, de romans proto-historiques ou vaguement fictionnels qui ne se risquent jamais à raconter le monde tel qu’il nous crève les yeux.

L’homme qui arrêta d’écrire est le roman d’une génération, celle qui a eu entre vingt et trente ans dans les années 2000 et qui aurait perdu assez contact avec le réel pour ne plus être en mesure de le raconter elle-même.

Nabe, L’homme qui arrêta d’écrire, 686 pages, 28€.
www.marcedouardnabe.com

3 Comments

  1. C’est possible sauf que  » le critique « ‘ oublie justge de dire que c’est un roman somptueusement ennuyeux, casse-pied, artificiel, au style artificiel. Bref, un de ces romans qui vous tombe des mains ou vous endort.

  2. Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un oubli. Je ne me suis pas ennuyé une seule seconde à la lecture de ce roman, bien au contraire et s’il est arrivé qu’il me tombe des mains, ce n’était dû qu’au poids du livre, qui dans son genre est un pavé. Je dirais même un pavé jeté dans la mare. Quant au style, il me semble qu’il s’accorde parfaitement avec le fond. C’est une écriture orale pour un narrateur censé avoir arrêté d’écrire, ce qui me semble parfaitement logique.

  3. Que ce soit le style pompier, voire pompeux ou le fond confus et monotone, c’est un roman totalement bavard et lourd (au sens figuré). Un pseudo écrivain qui se regarde écrire et s’auto-écoute, très satisfait de lui et de ses petites niaiseries. Les pseudos écrivains qui se grattent le nombril parce qu’ils n’ont rien à dire peuvent lire de vrais auteurs qui ont quelque chose à dire. A fuir. Il y a tellement de vrais écrivains.
    Nabe est un imposteur qu’on ne peut pas prendre au sérieux. J’ai vraiment l’impression de m’être fait volé 28 euros.

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