Réveil en étrange pays

Par Jacques de Guillebon*

/Un apéro saucisson-pinard le vendredi, même s’il s’agissait du septuagénaire 18 juin, j’avoue qu’en tant que catholique, ça ne me faisait ni chaud ni froid. Nous, le vendredi, ce serait plutôt sardine-eau fraîche.

D’ailleurs, j’y songe, peut-être eussè-je dû avec mes congénères, pardon mes coreligionnaires, penser à porter plainte pour cette provocation : manger de la viande un vendredi ! Vous vous rendez compte du scandale ? Porc, bœuf, poulet, agneau, autruche ou rat d’égout, qu’importe ! Le vendredi, il faut faire maigre. Ma minorité s’en fut sentie agressée jusqu’à la moelle, si elle n’avait intégré à tel point la domination de cette abjecte république qui n’est que le nom de la pire des tyrannies.

En fait, je déconne. Je ne fais pas partie d’une minorité, mais au contraire de la majorité qui fait le fond de ce vieux pays d’une vieille civilisation. Et, en fait, nous autres catholiques, on s’en fout de ce que mangent les gens. Car ce n’est pas ce qui entre dans la bouche des hommes qui est impur, mais ce qui en sort. Et toc. Tenez-le vous définitivement pour dit. Petite leçon d’anti-œcuménisme au passage : notre attitude du vendredi n’est en aucun cas comparable à celle des religions douées d’interdits alimentaires. Tous ceux-là n’ingèrent pas certains mets au motif qu’ils sont impurs, donc répugnants, d’après ce que j’ai compris. Nous, si nous ne mangeons pas de viande le vendredi, jour de la mort du Christ, c’est au contraire parce que nous la trouvons trop bonne. Mais passons.

Il y a longtemps que je ne fous plus les pieds à la Goutte-d’Or. À une époque, j’habitais à deux pas de ce « quartier populaire », proche la Gare du Nord. J’y allais seulement pour consulter quelques livres à la bibliothèque. J’avoue que déjà je n’arrivais pas à ne pas trouver déprimantes ces rues de Paris où de rares bobos méritants s’essaient à faire souffler un vent de particularisme populaire quand la face des cafés, des gens, des commerces, patentés ou à la sauvette, est définitivement la même qu’à Arcueil, Vénissieux, et que dans toutes les banlieues françaises de Brest à Schiltigheim.
L’éponge de la mondialisation y a passé avec la même indifférence. Ça sue l’ennui, la peine, la dépression, le chômage, le désoeuvrement, l’écran plat et la Wii.

Les gars et la fille de l’apéro saucisson-pinard tentent de nous refaire le coup du Paris montmartrois du Chat Noir et de Bruant. Ça ne prend pas : la Goutte-d’Or de l’époque devait déjà être ce rebut morne où tous les corps aux têtes coupées par Ubu-bourgeois venaient panser leur plaie. Ce n’est, et ce n’était même pas en ce temps-là, la Cour des Miracles qui fut jusqu’à Louis XIV le lieu le plus extraordinaire de Paris, avec ses lois, ses rois, et ses inventifs bandits. Non, la Goutte-d’Or est l’un de ces lieux voués à l’indifférence, une erreur topographique, une terre gaste. C’est dire si j’avais quelques raisons de ne pas aller à cet apéro.

La Préfecture de Police qui m’en offrait une nouvelle en interdisant le rassemblement m’inocula pourtant l’envie paradoxale d’y avoir voulu aller. En 40, c’est sûr, je n’eûs pas du tout rêvé d’aller à Londres, chez le perfide Anglois où l’été n’existe pas. Pourtant, j’espère que j’y serai passé avec armes et bagages. Je sais, c’est bête, il n’y a ni armée allemande, ni de Gaulle dans l’histoire présente. Mais il y a déjà les munichois, les pré-collabos, et c’est bien  suffisant pour vous hérisser le poil.
Il ne s’est rien passé encore que déjà on les voit se coucher devant le fort du temps. « C’est une provocation contre les musulmans », qu’ils hurlent, passant bien évidemment sous silence les prières hebdomadaires de la rue Myrrha, des rues bloquées et surtout, interdites aux femmes pendant ce temps. Ils ne veulent pas la guerre. Ne reste plus qu’à parier qu’ils l’auront en sus du déshonneur qu’ils ont déjà gagné hier.

Ces défenseurs serviles, qui les a entendus dénoncer le scandale et la provocation quand les homosexuels organisaient leur « kiss-in » à la porte des cathédrales ? Qui les a entendus condamner vertement et sans détour l’incendie du drapeau municipal qu’on remplaça par un étendard étranger ?

En vérité, l’étrange défaite de cet étrange pays où il vaut mieux brûler le drapeau national que manger du saucisson recommence maintenant.

Où est Marc Bloch ?

*Jacques de Guillebon est journaliste et essayiste.  Il est l’auteur de Nous sommes les enfants de personne et Le nouvel ordre amoureux avec Falk van Gaver.

1 Comment

  1. Chapeau bas au bretteur des lettres françaises, au d’Artagnan intellectuel dont le vigoureux poigné taché d’un sang d’encre, nous redonne le courage de relever la tête. Bon sang ne saurait mentir d’ailleurs, et il s’écoule de ces lignes une étrange vérité accessible à tout homme de bonne volonté. Comme la voix tempetueuse des prophètes de tous les temps.

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