Claude Chabrol, ogre généreux

/Cinéaste de la Nouvelle vague a ses débuts, admirateur d’Alfred Hitchcock et d’Orson Welles,  Claude Chabrol tire sa révérence. Il aura été un fabuleux observateur sans concession de la « Comédie humaine » et de la bourgeoisie française. On retiendra aussi l’homme obsédé par la nourriture, le terroir et le vin, passion qu’il savait partager avec ses comédiens.

Claude Chabrol qui vient de nous quitter à 80 ans était un vrai gastronome, un fou de cuisine. Il a raconté que lorsqu’il était adolescent pendant la guerre, il avait vécu « en Creuse », cultivant un appétit d’ogre. Il mangeait volontiers dix tranches de rôti de veau d’affilée ou une oie entière.

Il aimait la première réplique de Betty, le roman de Georges Simenon qu’il avait adapté à l’écran : « Vous désirez manger quelque chose ? ». Manger, c’était une obsession chez cet homme de culture, grand observateur, bon vivant et pas seulement épicurien dans le sens sensuel. Il aimait la table au restaurant, chez soi en famille ou chez des amis, et davantage le partage d’un repas. On a l’image dans ses films de déjeuners familiaux et bourgeois le dimanche, autour d’une grande table avec enfants et adultes, maîtresses, amants et maris, et même parfois la bonne qui sert à table dans son petit tablier.

Il a raconté que lorsqu’il était enfant, il ne supportait pas les films où l’on voyait les acteurs assis au restaurant qui passaient leur temps à bavarder et à commander des plats sans qu’on les voit les manger. Il se disait alors secrètement : quand je ferais des films, je ferai manger mais comédiens !
« Pour vivre, il faut manger », disait-il avec sa bonhomie habituelle, roublard et malin, caustique et tendre. Quand il a tourné La décade prodigieuse, il avait été frappé de voir Orson Wells qu’il admirait, autant qu’Alfred Hitchcock, de voir cet homme dévorer non pas une double entrecôte mais une quadruple entrecôte à Obernai, dans l’hôtel Beau site. D’ailleurs, c’est bien simple, Claude Chabrol choisissait très souvent ses lieux de tournages en fonction des restaurants où il pouvait ripailler. « Je nourris mes personnages, confiait-il, sinon ils meurent ».

Fricandeau et pintade au chou

Si l’on regarde sa filmographie, on peut citer l’ineffable Charles Denner râlant devant un hachis Parmentier dans Landru, Michel Serrault, son comédien fétiche, se resservant d’un fricandeau (tranche de veau piquée de morceaux de lard) à l’oseille dans Le fantôme du chapelier.  On voit aussi Jacques Dutronc dans Merci pour le chocolat en train de couper un rôti de veau. Jean Yanne, abjecte personnage dans Que la bête meure, fait servir à table un ragoût de bœuf que sa femme a préparé. Gérard Depardieu, autre complice de table, dévore une pintade au chou dans son dernier film Bellamy. On trouve également une belle tarte aux pommes dans Madame Bovary jouée par Isabelle Huppert. Et bien sûr, dans La décade prodigieuse on mange des écrevisses à la nage, comme dans L’Inspecteur Lavardin joué par Jean Poiret, il s’agit plutôt du fameux poulet au vinaigre !

Un conseil : allez sur youtube voir Claude Chabrol manger du foie gras et boire un verre de vin rouge en direct sur RTL interviewé par Bernard Poirette lors de la sortie de son film La fille coupée en deux.
Autre conseil : lisez le livre délicieux de Laurent Bourdon, Chabrol se met à table, paru chez Larousse, qui décortique (au sens propre) ses 57 films. J’ajoute que dans le film Marie -Chantal contre Dr Kha, cet amateur de vin jouait déjà en 1965 un petit rôle de barman.

Bref, cet homme de goût à la bonhomie pompidolienne qui ne considérait pas la gourmandise comme faisant partie des sept péchés capitaux, aurait pu faire sienne la phrase de Pierre Daninos : « Les Français ont une telle façon gourmande d’évoquer la bonne chère qu’elle leur permet de faire entre les repas des festins de parole. »

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