« J’ai beaucoup écrit, mais j’ai bien travaillé », clamait François Nourissier, le dernier ogre des lettres françaises qui vient de s’éteindre à l’âge de 83 ans. Un bel âge pour celui que Jean d’Ormesson n’a pas hésité à dire qu’il était « une institution à lui tout seul ».
Grand lecteur de Montaigne, de Jean-Jacques Rousseau, de Benjamin Constant, de Chardonne et de Montherlant, Nourissier se complaisait dans l’auto-flagellation, critiquait ses premiers romans et s’exclamait : « Je me suis voulu le romancier d’une société fermée. » Cet ambitieux qui ne s’aimait pas avait débuté sa carrière littéraire en publiant Un petit bourgeois, roman qui avait fait scandale à l’époque en 1963.
Pierre-Henri Simon, le critique du Monde l’avait descendu en flèche sur cinq colonnes, tandis qu’Aragon s’était enthousiasmé en saluant la naissance d’un nouvel écrivain : « Il y a très longtemps qu’on n’a pas écrit ainsi, avouait-il, je veux dire avec cette jeune maîtrise de la phrase, qui fait penser qu’il en va de celle-ci comme des femmes, jamais si belles qu’en négligé».
Et à Jérôme Garcin, en 2002, alors qu’Un petit bourgeois était à nouveau disponible dans la collection Les cahiers rouges, François Nourissier avait déclaré à Jérôme Garcin : « Le travail d’écrire est devenu ma raison de vivre. Aujourd’hui, plus que jamais. C’est le seul trapèze auquel je sois accroché et qui me maintienne en l’air. Mais il y a de plus en plus de trous dans le filet… »
Mais Nourissier, qui, appelé par celui qui allait devenir son grand complice, Jean-Claude Fasquelle, s’était réfugié dans les années cinquante chez Grasset comme on choisit une famille. N’avait-il pas écrit : « Je suis né dans une mauvaise famille, où l’on ne s’aimait pas beaucoup » ?
Il restera dans l’imaginaire des lecteurs français, un « pape des lettres », une sorte de père Joseph de l’édition ou un intrigant (surtout à la veille des manoeuvres d’automne), un découvreur, autant qu’un critique (Le Figaro magazine, le Point…), et un chevalier des lettres contemporaines, qui avait sauté à pieds joints à l’Académie Goncourt, pour en démissionner il y a quelques années, se rendant bien compte qu’il lui fallait jeter l’éponge.
D’ailleurs, Jean-Claude Fasquelle, en lui rendant hommage dans Le Figaro littéraire, a rappelé la parole qu’il entendit prononcer par son grand ami lors de leur dernière rencontre : « On a bien rigolé ».
Aujourd’hui qui rigole encore comme lui ?
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