Hommage à Kubrick (1928-1999)

/Après Alfred Hitchcock, la Cinémathèque Française rend cette fois hommage à un autre grand artisan du septième art : Stanley Kubrick. L’occasion de revenir sur une carrière foisonnante, singulière et indémodable.

Les trompettes de la renommée qui résonnent aujourd’hui au-dessus de Kubrick ne doivent pas occulter les réticences de la critique longtemps exprimées à son encontre. Si le public a toujours suivi avec enthousiasme chacune de ses productions, les commentateurs professionnels eurent des difficultés à reconnaitre le génie du cinéaste.

Un tel fossé entre le monde des experts et celui du public montre peut-être le caractère complexe de l’œuvre du réalisateur. À la fois obscure et diaphane, indépendante et accessible, elle échappe aux étiquettes, et ne peut laisser indifférent.

Insaisissable, sa filmographie reflète la vision d’un artiste peu enclin à se soumettre aux grands stratagèmes de l’industrie cinématographique. 13 longs-métrages, 13 tentatives toutes empreintes de la même volonté de se renouveler, et de ne jamais sombrer dans le cliché ou l’idéologie nauséabonde.

Parmi ces 13 étapes d’un parcours atypique, des images continuent de hanter la mémoire collective. Un vaisseau spatial flottant sur le Beau Danube Bleu de Strauss; Une bande de jeunes désœuvrés habillés de chapeaux melon et de tuniques blanches; un aristocrate britannique marchant au rythme de la Sarabande d’Haendel; un écrivain névrosé poursuivant son épouse une hache à la main, ou bien encore un sergent instructeur humiliant des recrues de la Marine américaine..

Autant de moments marquants, d’instants de cinéma qui laissent une empreinte indélébile sur l’imaginaire de générations de spectateurs. Autant de séquences certes révélatrices, mais qui ne sauraient réduire la richesse de l ‘œuvre.

La véritable richesse de Kubrick, sa puissance profonde tient sans doute dans sa capacité à surpasser le visuel. L’image pour l’image, le mot pour le mot, la note pour la note sont bien peu de choses. Ou des entreprises formalistes bien vite épuisées.

Ici, la représentation, combinatoire d’un souci du détail et d’une maîtrise technique évidente, sert un propos. Orange Mécanique (1971), contrairement à bon nombre d’idées reçues, n’est pas un film violent. Il est un film sur la violence, sur l’itinéraire terrible d’enfants délaissés du système social. Idem pour Eyes Wide Shut (1999), qui à bien des égards reste un film d’amour et sur la faiblesse des hommes plutôt qu’une projection des fantasmes d’un vieux cinéaste au bord de la mort (comme certains critiques l’ont entendu).

Du sensible au réflexif, il n’y a en définitive chez Kubrick qu’un pas à franchir. Jamais donnée d’emblée, contenue en permanence au creux du flot visuel, sa vision du monde se cueille à condition de bien vouloir l’étreindre.

/Une fois embrassée, le spectateur est libre de la partager ou non. Radicale, elle laisse peu de place pour l’espoir. Alex, meneur de la bande de loubards d’Orange Mécanique, ne parviendra jamais, malgré les tentatives curatives, à se prémunir de ses velléités malsaines. De même, le sergent Guignol de Full Metal Jacket (1986), incarnation de l’absurdité de la guerre, surpassera les horreurs des conflits en grossissant à son tour les rangs des meurtriers.

Point de héros en somme. Du moins pas de ces émanations lisses et éprises de sentiments nobles, typiques du marché hollywoodien. Tiraillés entre folie et raison, profondément schizophréniques, les personnages esquissés par Kubrick n’ont rien d’idéal. Ni rien d’enviable.

L’identification semble dès lors délicate. Personne ne veut a priori ressembler au créateur désaxé de Shining (1980) ni à au prolétaire devenu noble de Barry Lyndon (1975). Sauf que sous la caméra de Kubrick, les entités repoussantes fascinent. Et reflètent, en les portant à l’extrême, nos propres béances.

Si chaque film s’accompagne de son lot de discours, d’interprétations et d’exégèses plus ou moins heureuses, le cas Kubrick fournit un exemple paradigmatique et résistant. Sorte de source intarissable où viennent se frotter quantité de langues pas toutes taillées à hauteur de l’édifice.

Monument, pareil au monolithe de 2001 L’Odyssée De L’Espace (1968) qui aujourd’hui mérite un nouveau regard. Œuvre immense, sombre, compacte, et plus que jamais porteuse de sens au regard d’un monde que l’artiste avait déjà compris.

Guillaume Blacherois

Pratique :

Exposition Stanley Kubrick à la Cinémathèque Française (Paris XIIe), du 23 mars au 31 juillet 2011.

Réédition du livre référence de Michel Ciment, Kubrick (préface de Martin Scorsese), (Ed. Calmann-Lévy).

Sortie de l’Intégrale Kubrick en dvd (19 dvd) accompagnée d’un livre, Les Archives de Stanley Kubrick (Ed. Taschen).

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