La voilà la révélation de la saison. Elle est signée Noël Herpe. Son Journal en ruines est un petit chef-d’œuvre.
Il faut le lire Journal en ruines comme le récit d’une vie (1986-2006), partagée entre la solitude, la névrose d’un père, la nostalgie des films en noir et blanc, des rêves révélateurs, des réminiscences obsédantes et la difficulté d’être. « Dès lors qu’il est question de l’homme, rien n’est jamais trop petit », assurait Samuel Johnson au diariste écossais James Boswell. Et dans ce journal magistralement écrit au fil des jours et des mois, inégal en temps, découpé chronologiquement par périodes, on croit être le voyeur des petitesses de la vie que relate l’auteur, alors qu’il ne fait que dire et commenter ce qui est l’essentiel chez tout être, vivant en spectateur de soi-même : la douloureuse épreuve de survie dans un monde hostile.
En mars 1991, à 26 ans, il confie : « Je sens la vie refluer autour de moi (rencontres, opportunités de travail, perspectives d’avenir) et en même temps en moi, un bloc de résistance, de refus qui ne veut pas se laisser détruire, une force de négation qui s’affirme peut-être d’autant plus qu’elle est menacée : cela se produit par une sorte de pétrification intérieure, qui me rend très difficile le dialogue avec autrui. (…). »
Ce jeune homme séparé (au sens où Montherlant l’entendait), très introspectif, allant jusqu’à suivre plusieurs analyses, assumant difficilement une homosexualité compliquée, obsédé par l’image du père, coupé de sa mère, passionné de littérature, de théâtre et de cinéma, est maintenu par une « énergie » vitale.
Le jour de ses 30 ans, il semble pourvoir enfin accéder « à plus de naturel, à plus d’authenticité dans mes rapports à autrui ». En réaction à la vision parentale soixante-huitarde de la société, Noël herpe dévorera les grands auteurs classiques du XXe siècle, se jetant sur « des figures tutélaires, mais il faut aussi que quelque ravage les ait détruites. » Avant d’ajouter : « Sans doute Montherlant s’est-il mieux qu’aucun autre prêté à ce culte, par ce qu’il était aveuglé d’honneurs etd e grandes orgues, et parce qu’en même temps il ne cessait d’appeler sa ruine, de la précéder, de la mettre en scène… ». Subtile analyse de Noël Herpe « en quête d’un discours qui puisse surplomber le discours paternel, et qui par là même m’en libère et m’en éloigne ».
Écartelé entre l’enseignement et le journalisme Herpe se raccroche à cet indicible journal qui lui permet de se sauver de toute « frustration affective », en quête de son propre bonheur.
Au-delà de toute déprime, de toute tristesse, Herpe, qui a lu Gide, Green, Jouhandeau, Matzneff, Guibert et certainement Amiel et Cioran, enrichi avec ce Journal en ruines le patrimoine du journal intime qui depuis Restif de La Bretonne, en France, est devenu un genre à part entière.
PS : coup de chapeau à Thomas Simonnet, l’éditeur de L’Arbaète qui, notamment avec ce livre augmente un joli catalogue qui a toute sa place au sein de la maison Gallimard, laquelle désormais continue à éditer dans la rue qui porte son nom (ancienne rue Sébastien Bottin).
Noël Herpe, Journal en ruines, L’Arbalète Gallimard, 344 p., 22,50 €.
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