Erotisme et littérature

/Jean-Jacques Pauvert s’y connaît un peu en littérature érotique. Il s’agit évidemment d’un euphémisme, puisque c’est à cet homme de quatre-vingt-cinq ans que nous devons entre autres d’avoir pu lire les œuvres du marquis de Sade, de Georges Bataille et certains textes d’Apollinaire ou de Breton.

À vingt-et-un an il éditait sous son nom propre, pour la première fois dans toute l’Histoire, les œuvres du divin marquis. De là naquirent les éditions Pauvert qui, malgré les procès et les intimidations, s’attelèrent à mettre à la disposition du public le plus riche de la littérature érotique.

En un sens, parler de littérature érotique est un truisme si l’on convient que la fonction de la littérature est de dévoiler, de mettre au jour le caché, le secret, de révéler la profondeur des êtres et de la vie, c’est-à-dire de creuser l’âme humaine pour y mettre à nu sa beauté, sa laideur, sa vertu, son vice et toutes ses perversions. Toute œuvre littéraire digne de ce nom est érotique. À ce titre, devons-nous nous étonner que l’érotisme ou du moins son sentiment semble ne plus exister qu’à travers quelques œuvres souterraines, puisque la littérature contemporaine, absorbée par le spectaculaire et l’argent semble, dans sa grande majorité, mort-née ? « L’érotisme n’existe plus qu’émietté, dilué tous les jours un peu plus dans les innombrables divertissements monnayés qui submergent aujourd’hui les sociétés humaines », écrit J-J Pauvert en s’appuyant sur les écrits de Jean-Claude Michéa, Philippe Muray et Guy Debord. Entrés dans l’ère du spectacle et de la multiplication des images, comment l’univers érotique, qui se façonne par la suggestion, le secret que réclamait le surréalisme et l’équivoque, pourrait-il encore advenir ? Dégagée de toute morale (en apparence) et de toute religion, contre quoi la littérature pourrait-elle encore se dresser ?

Il ne faudrait cependant pas sombrer ni dans le pessimisme ni dans le passéisme car les œuvres de talent furent rares à toutes les époques. L’œuvre de Sade, comme le rappelle Jean-Jacques Pauvert, est unique dans toute l’Histoire de l’humanité. Jamais en aucun lieu, en aucune époque, nul ne s’est autorisé à écrire une œuvre si noire, si contraire à toute morale, si étrangère à toute précaution. Et si l’ancienne morale est aujourd’hui abolie, une autre lui a été substituée, la nature, comme chacun sait, ayant horreur du vide et toute société étant fondée sur des principes moraux. Selon Pauvert, la morale du nouveau siècle n’est autre que celle de l’argent. « Qui dit religion disait aussi morale, naguère, écrit-il.
Alors constatons – en renversement de ce qui en avait toujours constitué le fondement – qu’il existe bien aujourd’hui dans les civilisations occidentales (et cela englobe aussi, par exemple, les Émirats arabes) une nouvelle morale, qui a depuis quelques années totalement supplanté l’ancienne. Morale fondée désormais sur l’argent, donc, par conséquence directe,
sur le crime. » C’est à contre-courant de cette nouvelle morale que pourrait encore surgir une littérature. Que le sentiment érotique pourrait subsister.
« Que peut donc être devenu l’érotisme, en général, dans ce changement majeur de la société. Je n’en sais pas grand-chose, écrit encore Jean-Jacques Pauvert. Peut-être, et certains indices paraissent le suggérer, subsiste-t-il en secret, dans l’ombre personnelle de quelques individualités. Rendu, en somme, à cette ombre originelle d’où quelques révoltes très circonscrites avaient voulu le tirer, en quelques circonstances historiques que nous avons tenté de retracer ? »

C’est au final dans les derniers chapitres de l’ouvrage, Métamorphose du sentiment érotique, que Pauvert est le meilleur car, pour en arriver à ces conclusions, il donne un trop rapide aperçu de l’érotisme à travers les siècles et les civilisations qui laisse souvent sur sa faim. Malgré de bons passages et des citations qui nous ravissent, ce livre qui condense en quelque sorte l’énorme Anthologie historique des lectures érotiques qu’il a rédigée pendant une vingtaine d’années, va trop vite, décrivant parfois un siècle de littérature en deux pages. Pauvert en est d’ailleurs bien conscient, qui écrit dans son introduction :
« À la demande des éditions Jean-Claude Lattès, j’ai repris l’année dernière ces essais résumés de ce gigantesque travail, de dimensions si différentes. À les relire, leurs défauts réapparurent tout de suite : condensation excessive, d’où lacunes ou obscurités… Mais aussi, en fin de compte, quelques qualités : aperçus des divers nouveaux éclairages dont je parlais, auxquels donc s’en étaient ajoutés d’autres, inédits, surprenants. »

Malgré cela, nous devons tirer notre chapeau à l’infatigable éditeur et découvreur de textes précieux qui, sans lui, seraient sans doute demeurés dans l’enfer des bibliothèques.

Jean-Jacques Pauvert, Métamorphose du sentiment érotique, JC Lattès, 350 pages.

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