Quelle bonne idée ont eue les éditions Arléa de publier à nouveau ce texte introuvable sur les derniers jours de Paul Verlaine !
Édité initialement par le Mercure de France en 1911, puis réédité en 1923, Les derniers jours de Paul Verlaine est signé par deux de ses plus proches amis, Frédéric-Auguste Cazals (1865-1941), dessinateur et écrivain de talent, auteur du Jardin des ronces : poèmes et chansons du pays latin, préfacé par Rachilde ; et Gustave Le Rouge (1867-1938), auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, romans, pièces de théâtre ou poèmes, qui aurait été le « gourou » fantôme de Blaise Cendrars…
Mais le plus singulier est d’avoir choisi comme préfacier Maurice Barrès, Lorrain comme le poète. Amoureux de la poésie verlainienne, il côtoya le pauvre Lélian (anagramme fameux), parlant de lui comme d’un « enfant de poésie », allant jusqu’à écrire :
« Voilà, dans sa tristesse et dans sa laideur, le détail des jours de notre Maître traînait, des terrasses où règne la Déesse verte jusqu’au lit d’hôpital où, coiffé d’une bonnet de coton, il retrouvait le bon sens et l’inspiration. »
Torturé par deux démons, la luxure et l’alcool, celui que les auteurs appellent « l’archange foudroyé » termine sa vie, sans argent, en compagnie de sa dernière maîtresse Eugénie Krantz dans un deux-pièces à Paris du 37, de la rue Descartes, au cœur du Paris balzacien. Mais le poète, atteint de huit maladies, passe son temps à l’hôpital, et surtout Broussais, dans le XIVe arrondissement. « Je commence à croire que les poètes ont bel et bien été créés et mis au monde pour habiter l’hôpital, dira t-il. Ils s’y trouvent à merveille et ils manqueraient à tout le monde s’ils n’y étaient pas. »
Comme le confirment les auteurs, le « Tout Paris littéraire » est venu à son chevet, qu’il s’agisse d’Anatole France, de Barrès, d’Huysmans, de Robert de Montesquiou, et même de François Coppée et Jean Moréas, ses fidèles complices. Les récits de ses virées dans Paris, d’un café à l’autre, du Café Français au Bal Bullier, autorisé qu’il fut de temps en temps grâce à la bienveillance du bon docteur Chauffard à quitter sa chambre, sont inénarrables. Ce même médecin qui clamait aux internes qui l’entouraient : « Voici un grand malade, un très grand malade…. et un grand poète… le plus grand poète catholique du siècle. »
Mais les pages sur le Verlaine intime, vantant dans La Bonne chanson la chaleur du foyer, « l’heure du thé fumant et des livres », puis, au lendemain de sa séparation avec sa femme, son existence « vagabonde et irrégulière », replié dans ses gourbis, rue de la Huchette, rue Royer-Collard, rue de Vaugirard ou rue du Cardinal-Lemoine, avant le boulevard Saint-Michel et la rue des Fossés-Saint-Victor, dépeignent un poète à la recherche d’une bonne âme, ne négligeant jamais ses amis, mais démangé toujours par les affres de l’alcool, cette « sorcière verte» qu’est l’absinthe.
« Ah ! si je bois c’est pour me saouler non pour boire,/ Etre saoul vous ne savez pas quelle victoire/ C’est qu’on remporte sur la vie et quel dont c’est ! » clame t-il encore dans Jadis et naguère.
Le 8 janvier 1896, à sept heures du soir, Verlaine rendit l’âme chez lui, rue Descartes. Quinze de ses amis, réunis par la comtesse Greffülhe, sous l’égide du Figaro, pour, chaque mois, subvenir à ses moyens, dont Maurice Barrès, François Coppée, Léon Daudet, le Dr Louis Jullien, Octave Mirbeau, Robert de Montesquiou, Jean Richepin et Sully Prudhomme, le pleurèrent et accompagnèrent son cercueil, parmi cinq mille personnes, de la place du Panthéon jusqu’au cimetière des Batignolles. On raconte que le bras de la statue de la Poésie qui décore le faîte de l’Opéra se détacha dans la nuit qui suivit les funérailles.
« La lyre d’or de la poésie française ne s’était-elle pas brisée en même temps que s’éteignait pour toujours la voix de Paul Verlaine, le dernier grand lyrique du XIXe siècle ? », en conclut joliment les auteurs.
Les derniers jours de Paul Verlaine, de F._A. Cazals & Gustave Le Rouge. Préface de Maurice Barrès. Editions Arléa, 222 pages, 18 €.
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