Le très noble château de Blérancourt et 14-18

/Confronté à son histoire tragique, qui voit disparaître sous la pioche des démolisseurs révolutionnaires la superbe demeure élevée, à partir de 1612, par Salomon de Brosse pour la famille Potier de Gesvres,  Blérancourt doit paradoxalement sa renaissance à la Première Guerre mondiale qui a pourtant dévasté, elle aussi, toute la région.

En 1917, le commandement militaire confie les ruines du domaine à une jeune américaine aventureuse, Anne Morgan, fille de l’illustre banquier et collectionneur John-Pierpont Morgan, qui crée une association d’aide aux populations sinistrées. Au lendemain du conflit, au milieu d’un champ de désolation immense, la Picardie doit panser des plaies béantes que l’ardeur de la jeune américaine s’emploie à atténuer. En quelques années, son action humanitaire permet aux habitants d’entrevoir un avenir supportable. S’il convient de soigner, de nourrir de toute urgence, l’aide apportée doit permettre aussi de reconstruire le cadre d’une vie sociale, éducative, culturelle …

Son geste se présente alors comme une sorte de témoignage de reconnaissance en contrepartie de l’aide apportée par la France de Louis XVI aux colons américains afin de se libérer de la tutelle anglaise. Il gagne ainsi une force symbolique, inscrite dans l’histoire des peuples, trouvant ses racines par delà les clivages opérés à la suite des confits, des soulèvements consécutifs à 1789 qui ont commotionné l’Europe tout au long du XIXe siècle et au début du XXe , de l’Atlantique à l’Oural.

Le Musée franco-américain, créé dès 1924 dans le pavillon sud du château reconstruit, doit probablement son succès à une perception nullement dualiste de l’histoire des hommes. Ainsi, le fonds des collections réunies ne se limitent pas à la seule évocation de leur illustre fondatrice décédée à New York en 1952 et de son œuvre, mais elles retracent sur près de quatre siècles les rapports entretenus entre le vieux continent et ces « Indes occidentales ».

Depuis 2005, le musée est fermé en vue d’une rénovation de l’ensemble du monument encadré désormais d’un arboretum et des Jardins du Nouveau Monde qui offrent une sélection de fleurs, d’arbustes originaires du continent américain (ouverts tous les jours de 7h à 19 h, entrée libre).

Les premiers travaux viennent de porter sur la restauration des deux pavillons d’entrée : à gauche celui dans lequel s’est installée Anne Morgan en 1917 et qu’elle occupera lors de ses divers séjours en France de 1924 à 1947. Il vient de retrouver son décor primitif et son mobilier d’origine. De discrètes bornes interactives permettent de découvrir l’œuvre et la personnalité de la bienfaitrice. Dans celui de droite, une bibliothèque riche de 6 000 volumes traitant des relations franco-américaines vient d’être confortablement installée. Ouvert aux chercheurs, ce fonds unique en France s’enrichit régulièrement.

L’année 2014 devrait être marquée par la réouverture de l’ensemble du musée en réhabilitant les deux pavillons construits à l’arrière de la terrasse, sur les fondations du corps de logis primitif. Des fouilles archéologiques ont permis d’en retrouver d’intéressants vestiges. Une construction nouvelle réunissant ces deux constructions devrait permettre une extension importante de la superficie des salles d’exposition.

/Il est à craindre toutefois que les architectes retenus par le ministère de la Culture, Yves Lion et Alan Levitt, ne se livrent une fois de plus, dans le contexte d’un édifice classé au titre des monuments historiques, à la tentation actuelle récurrente cherchant à tout prix introduire l’art contemporain.

Au centre de la perspective conçue par Salomon de Brosse, longue de plusieurs kilomètres, scandée par de majestueux portails du XVIIe siècle, le projet actuel porte sur la construction d’un édifice d’avant garde, représentatif d’une architecture qui prétend d’autant plus faire œuvre de génie qu’elle sait résolument s’affranchir des canons plastiques hérités d’un environnement architectural séculaire !

Sans doute conviendrait-il de suivre sur cette question l’exemple tracé par Anne Morgan elle-même, à laquelle le musée cherche très justement à rendre hommage. En restaurant le site, la bienfaitrice de Blérancourt et de sa région a tenu à conserver le sens, la symbolique d’une architecture propre à ce lieu dont elle appréciait profondément les lignes au point de chercher à les restituer le plus fidèlement possible dans sa reconstruction !

Les carrières de Gonfrécourt à Vingré et le Monument de la Croix brisée

En profitant d’une visite à Blérancourt, un détour d’une quinzaine de kilomètres mérite d’être effectué pour découvrir, sur le site d’un ancien champ de bataille de la guerre 14-18, les vestiges qui en subsistent sur la commune de Gonfrécourt : la carrière dite de l’hôpital et plus encore celle du Ier Régiment de Zouaves.

Havre de paix pour les poilus qui descendent des premières lignes situées à quelques centaines de mètres, ces anciennes carrières  médiévales servent d’hôpitaux ou de lieux de repos avant une prochaine remontée sur le front. Certains soldats y donnent libre cours à leur inspiration artistique, et gravent dans le calcaire d’émouvants bas-reliefs auxquels ils livrent leurs plus profondes aspirations, voire leurs angoisses.

Monuments simples, parfois naïfs, ils ont été répertoriés méthodiquement dans un ouvrage collectif, Les Graffiti des Tranchées, édité en octobre 2008 par l’Association Soissonnais 14-18.

Il conduira ensuite ses visiteurs au Monument de la Croix brisée dont la symbolique offre un cas absolument unique en son genre et qu’il sait évoquer dans une authentique compréhension de sa signification iconographique, dans l’intime connaissance d’une science qui échappe de nos jours si souvent aux historiens et même aux historiens de l’art, d’ordinaire si incultes en ce domaine.

À voir absolument.

Pratique :

De mars à septembre, tous les premiers dimanches de chaque mois, et sur rendez-vous, Jean-Luc Pamart, auteur  du livre Le Paysan des Poilus aux éditions des Equateurs (06 77 07 13 42), avec le concours de l’Association pour l’Inventaire et la Préservation des Sites 1914-1918 (AIPS), fait découvrir ces lieux souterrains préservés, où les souvenirs se sont accumulés au cours de trois années de combats et de souffrances.

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