Au-delà des collines

/Cinéphiles de tous pays, unissez-vous ! Allez voir le troisième film du roumain Cristian Mungiu (39 ans), victorieux à Cannes pour Au-delà des collines, avec une longueur d’avance sur le gratin du 7e art (Palme du meilleur scénario et Palme d’interprétation pour les deux héroïnes du film ; son premier long-métrage, Quatre mois, trois semaines et deux jours, avait remporté la Palme d’Or en 2007 : la première du cinéma roumain).

Le mérite de Mungiu, Kubrick au pays des vampires, est immense. Travaillant avec un budget dont la minceur provoquerait la stupéfaction dans certains cercles, l’homme ne se plaint pas, mais se dit chanceux : en Roumanie, tourner un tel film en deux mois, est rare.

Le scénario est inspiré d’un fait divers. En 2005, une jeune femme, soi-disant possédée, est retrouvée morte, ligotée sur une planche, dans le monastère de Tanacu, égaré quelque part en Moldavie. L’enquête révéla les mauvais traitements infligés à la victime. L’higoumène du lieu a passé six ans en prison.
Cette minceur évènementielle ne suscite jamais l’ennui mais donne une puissance visuelle rare à ce film. Mungiu n’est pas romancier mais cinéaste. Son vocabulaire, ce sont les êtres et leurs expériences ; sa grammaire, un usage exceptionnel des plans-séquences, traduisant la densité de la durée vécue, loin des flash-back insistants.
Mungiu déroule l’action sur un mode linéaire. Facilité de style ? Certainement pas ! Il refuse les émotions faciles. Il ignore l’impact émotionnel provoqué par les artifices technologiques. Sa caméra, c’est notre regard, impliqué, de manière visuelle et intellectuelle, dans le drame se jouant, hic et nunc. Cette option conduit à une beauté évidente. Les cadrages sont excellents, les décors authentiques ; la photo, splendide.

Alina (Cristina Flutur) et Voichita (Cosmina Stratan) sont amies depuis l’orphelinat de leur enfance. Devenues adultes, la première travaille en Allemagne ; la seconde cherche sa voie en Dieu.

À nouveau réunies, Voichita emmène Alina au monastère qui l’héberge. Les religieuses y vivent une pauvreté assumée, offrant tout à Dieu : âme, corps, argent… La densité psychologique des personnages dans un lieu clos est remarquable de vérité.
Mais Alina a connu la société de consommation et ses excès. Elle se sent mal à l’aise et ne comprend plus son amie. Leurs relations se tendent. Puis, exaspérée par les tâches monastiques et la rigidité morale, Alina se révolte. C’est le trop-plein. Mais, dans le regard du Père et des nonnes, cette révolte a une origine surnaturelle. Le Malin s’est invité au couvent.
Après une tentative de suicide suivie d’une crise de colère, elle est transportée jusqu’à un hôpital où le personnel, incompétent, ignore sa pathologie. Comme dans les années 60, on la « shoote » avant de la renvoyer au couvent.

Cette fois, Alina s’en prend à l’autorité (« sacrée ») du prêtre (« papa » pour les religieuses). Mungiu, disciple de Freud ? Selon le médecin viennois, les possessions seraient le fruit d’une analogie inconsciente entre la figure paternelle et Satan. Intelligemment, Mingiu suggère cette perspective mais laisse planer le doute, l’ombre du diable dans le cloître…

Alina est exorcisée. Attachée sur une planche de bois, sans boire ni manger pendant plusieurs jours. Elle succombe à ce traitement.
Les scènes d’exorcisme sont remarquablement documentées : elles ressemblent plus au vécu des exorcistes que les lévitations hollywoodiennes ! Mungiu évite le sensationnel. L’un de ses atouts est une critique sociale décapante, celle de la Roumanie actuelle, violentée par le régime de Ceausescu. Drame sociétal, drame humain, sur fond de religiosité inscrite dans l’imaginaire collectif. L’opposition entre ville et campagne est parfaitement décrite. Les dysfonctionnements administratifs sont légion, comme les démons. La scène du visa, dans un commissariat, est anthologique.

Le jury de Cannes ne s’est pas trompé : un réalisateur est né. C’est un artiste, un illusionniste hors pair. De la magie, du cinéma.

Au-delà des collines, film de Cristian Mungiu (Roumanie), 2012.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.