En 1981, au lendemain des élections qui ont porté François Mitterrand à la Présidence de la République, je me trouvais à côté de Raymond Aron considéré, à l’époque et encore de nos jours, comme le meilleur observateur de la conjoncture française et lui posais la question suivante : « Maître, comment voyez-vous la situation ? » Il redressa sa taille et, me regardant droit dans les yeux, me répondit cette phrase définitive : « Je vous avouerai, cher ami, que je ne vois plus rien. »
Nous sommes aujourd’hui, six mois après les élections françaises du printemps, quelque temps après la réélection d’Obama et la prise de pouvoir à la tête de la Chine du président Xi Jinping (qu’il est plus facile d’appeler Monsieur Xi), un peu dans la même situation. Une seule certitude : la fin du monde, prévue par les Mayas pour le mois de décembre de cette année, ne s’est pas produite.
En ce qui concerne l’Europe, tant que les élections allemandes n’auront pas apporté leur verdict, il n’y aura pas d’avancée spectaculaire sur l’Union Européenne. Quant à l’Italie, qui a avancé ses élections à février, elle aura à faire connaître clairement si elle veut le sérieux de Monti ou la légèreté de Berlusconi pour ne pas dire plus (ou une solution intermédiaire). Mais ce verdict sera peut-être le plus important car les marchés sanctionneront ce vote quel qu’il soit et si ce pays est obligé d’emprunter à 6%, c’est toute la digue de l’euro du sud qui risque d’éclater entraînant l’Espagne et peut-être la France
En attendant, on ne fera que colmater les brèches, protéger l’euro et on ne prendra aucune des initiatives que les gouvernants auraient dû prendre depuis des années, celles précisément que j’ai préconisées dans tous mes livres : la création d’une Europe à deux vitesses, avec une vraie gouvernance pour quelques pays acceptant des règles de solidarité et, pour d’autres, une entente beaucoup plus souple pour ne pas dire lâche.
En attendant, la France va voir, encore pour longtemps, le nombre de ses chômeurs augmenter puisque la plupart de nos activités, notamment industrielles, ne sont pas compétitives et que le choc souhaité par le rapport Gallois a été repoussé. Par ailleurs, les perspectives de rigueur ne sont pas suffisantes, notamment en ce qui concerne les économies de l’État.
Nous avons échappé de justesse à la récession au dernier trimestre. Peut-être les perspectives des cadeaux de Noël vont-elles inciter les Français, qui épargnent plus que d’autres, à casser leur tirelire : nous éviterions ainsi un premier trimestre de croissance négative.
En attendant, la perte du triple A n’a pas affecté nos emprunts. Les palinodies de l’UMP, qui a failli, elle aussi, éclater, en triple, suivies de rodomontades, de menaces non suivies d’effet, de nationalisation provisoire de nos hauts fourneaux, ne suffisent pas à intéresser nos concitoyens. Le seul mystère, pour les observateurs avisés, est que les français continuent à espérer en l’avenir (même si dans les sondages ils affichent le pessimisme) et qui dans les statistiques nous sommes le onzième pays européen (PNB par habitant derrière l’Angleterre). La France un des pays européens où la natalité est la plus forte, ce qui à terme sera notre plus grande chance, notamment vis-à-vis de l’Allemagne.
On oublie également qu’à côté de la compétitivité, c’est la créativité qui est notre fer de lance, comme le prouvent les succès que nous remportons dans l’industrie du luxe où nous sommes les champions du monde : elle nous rapporte vingt milliards d’excédent sans compter les affaires touristiques. C’est le plus grand secteur excédentaire avant l’aéronautique. Cela devrait nous faire réfléchir sur ce que pourrait être le modèle français d’une reconquête de l’espace économique à l’intérieur comme à l’extérieur. Un excellent livre sous la plume de Laurent Davezies a analysé la centaine de secteurs dynamiques qu’il faut encourager ainsi que nos territoires correspondants.
Lorsqu’en 1950 la France a entamé sa reconstruction pour se relever de la guerre, elle a créé un Commissariat au Plan et à la Productivité. Elle a envoyé des missions d’experts et d’industriels aux États-Unis pour assimiler les leçons de ce pays, qui était le premier du monde en matière d’efficacité. Outre les États-Unis qui ont finalement bien supporté la crise qu’ils ont déclenchée, le modèle aujourd’hui est ailleurs, dans les pays émergents et, notamment, en Chine. C’est là qu’il faut délocaliser nos grandes écoles et nos universités, en ne craignant pas d’envoyer des promotions entières passer des années dans ces pays pour nouer des relations, tisser des liens, créer des réseaux.
La France ne sera jamais la championne des machines-outils… Elle a un génie propre dont on peut donner quelques exemples : Henri IV a installé chez nous l’industrie de la soie copiée de la Chine ; Louis XIV a créé avec Colbert les manufactures ; Madame de Pompadour a incité Louis XV à créer la manufacture de Sèvres, elle aussi inspirée de la Chine… Cette brillante entreprise n’arrive pas aujourd’hui à répondre aux commandes qui attendent pendant des années, faute de main d’œuvre qualifiée. Ce ne sont que des exemples, mais il y en a sans doute des milliers d’autres que la jeunesse française pourrait découvrir, si on lui propose quelques pistes de travail et comme l’indique aussi le livre de Michel Godet, La France des bonnes nouvelles, éditions Odile Jacob.
C’est cette croisade qu’il faut entreprendre, non celle du défaitisme et du repli sur soi.
Ces livres nous mettent sur la bonne voie et dressent le portrait d’une France qui peut s’en sortir avec ses atouts et malgré ses handicaps (mais l’histoire de France depuis Clovis n’est-elle pas une suite d’exploits et d’occasions manquées ?)
Mais il y a surtout un livre qui redonne le moral et que tout le monde devrait lire : celui de Frédéric Lenoir, la guérison du monde. On y trouve toutes les réponses aux défis de la planète : sa gouvernance, les menaces écologiques et surtout sa crise morale. Le numérique réapproprié par les pédagogues (ce qui n’est pas encore le cas) peut être une chance, surtout pour les pays émergents dont les citoyens peuvent profiter. C’est ce qu’a démontré Michel Serres dans le magnifique discours prononcé à l’Académie française, le 6 décembre faisant rimer virtuel et vertu. C’est ce qu’a compris le festival du film de Marrakech, tenu à la même période, où un des penseurs les plus réconfortants du monde, je veux dire Edgar Morin, était venu en personne apporter la bonne parole.
C’est cela la guérison du monde : la réappropriation de la pensée.
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