Circulation(s), festival de la jeune photographie européenne

/Il reste quelques jours pour aller voir les photographies exposées dans les jardins de Bagatelle, par-delà les parterres de fleurs à bulbe qui éclosent en ce moment, au milieu des cris que poussent les paons en liberté, magnifiques, et qui, du haut de leurs perchoirs, observent avec la condescendance vaguement indifférente des maîtres des lieux, le promeneur ébahi lorsqu’il se trouve soudain face à un de ces oiseaux au remarquable plumage, qu’il aurait pu prendre pour une sculpture.

Car ce parc est aussi parsemé de sculptures que de fleurs et de paons et, ces jours-ci, de photographies, d’un inégal intérêt, mais, pour la plupart, intéressantes et parfois très réussies. La difficulté à juger des œuvres photographiques tient certainement à ce que nous sommes, aujourd’hui, constamment sollicités par une foule d’images et qu’il devient par conséquent difficile de faire le tri entre celles qui amènent à la réflexion et à la rêverie et celles qui attirent l’œil immédiatement, mais qui ne laisseront aucun souvenir.

Il semble que ce soient les images qui nous marquent durablement qui font preuve d’un intérêt artistique, de même que ce sont les livres qui nous hantent et les musiques qui nous obsèdent qui accèdent au rang d’œuvres d’art, l’art étant aussi éloigné de l’immédiateté et de la consommation effrénée que la gastronomie de la fast-food dont on ne retient que l’écoeurement le temps de la digestion, et qui n’offre que la même et constante sensation à chaque fois qu’on y goûte, laquelle se noie dans sa propre réitération, tandis qu’un repas étonnant et original nous restera en mémoire longtemps, creusant une marque dans le temps.

Ainsi, dans la multitude d’images exposées à l’occasion de ce festival de la jeune photographie européenne, certaines persistent après qu’on ne les a plus sous les yeux, tandis que d’autres s’évanouissent immédiatement.

Une des séries les plus intelligentes qui me soient apparues est celle de l’italienne Valentina Vannicola (dont le nom est déjà en soi un sujet de rêverie, qui n’est pas sans rappeler celui du fameux acteur Valentino Valentini), une série portant sur L’enfer de Dante, dans une approche tout à fait originale et fort bien construite, ses photos, comme autant de tableaux, faisant appel à cet imaginaire si particulier du Moyen-âge tardif et de peintres tels que Bruegel l’ancien ou même Jérôme Bosch, mais un Jérôme Bosch dépouillé et réduit à sa quintessence.

/La série de Dominique Secher intitulée « Bokassa, la chute d’un tyran », s’attache quant à elle à représenter l’image du roi nu, déchu et abandonné de tous, abandonnant lui-même sa dernière demeure en France, délabrée et désertée, comme un avertissement à tous ces tyrans qui tombent les uns à la suite des autres en ces temps de bouleversements, l’époque des fastes passée, le temps se suspendant dans l’intemporalité des ruines qui sont, bien souvent, tout ce qui demeure des monarchies renversées, et la photographie de cet escalier circulaire prise par en bas apparaissant comme une mise en abîme du vertige de la chute et de l’inaccessibilité, dès lors, des dorures royales, que le plafond doré, contemplé depuis le sol, illustre parfaitement – l’escalier circulaire faisant songer aux peintures de Sam Szafran qui expose ses œuvres ces temps-ci à la Fondation Gianadda, à Martigny, mais, tandis que les escaliers en colimaçon de Szafran sont représentés de haut en bas, illustrant le cheminement de l’artiste qui contemple le trajet parcouru, celui de Bokassa est représenté en sens inverse, comme pour signifier le tragique du monarque parvenu trop haut et qui ne peut plus que déchoir.
Lente mais sûre ascension de l’artiste par le travail, versus accession vertigineuse et immédiate mais usurpée du tyran.

Il faut encore signaler le travail photographique de Marie Gruel sur les fleurs mortes, figées sous verre, dans la glace, têtes plongées dans des bocaux aquatiques, fleurs déflorées, aux couleurs morbides, semblables à des avortons ou à de fantastiques créatures surgissant du siphon d’un lavabo, éclosant dans la glace ou emplissant des mixers, dans des tonalités monochromatiques et marécageuses qui ne sont pas sans faire penser aux récits érotiques et fantastiques d’André Pieyre de Mandiargues, à certains petits poèmes en prose de Baudelaire ou à quelques textes étranges de Poe.
Une thérapie pour elle qui a été bouleversée par la mort de son père et par les monceaux de fleurs déposées autour de son corps sans vie. La fleur coupée comme simulacre de la vie ? Ou la fleur maltraitée et déchirée pour laisser surgir la violence, avec un raffinement tout érotique.

Bien d’autres séries encore intéresseront le visiteur et, parfois, seulement une ou deux photographies cueillies ça et là ; mais que chacun, désormais, s’en fasse une idée.

Circulation(s), festival de la jeune photographie européenne
J
usqu’au 31 mars 2013, de 11h à 18h30.
Accès libre et gratuit.
Galerie côté Seine et Trianon, parc de Bagatelle, Bois de Boulogne, Paris 16e.

www.festival-circulations.com

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.