Depuis le mois d’avril, l’image de Deneuve triomphante sévit sur les vitres de la Cinémathèque. Welcome to Demy-land, monde foisonnant et plein d’idées !
Le réalisateur des Demoiselles de Rochefort a investi les lieux avec toutes les couleurs de son imaginaire. Cette rétrospective offre une manière ludique d’aborder ce cinéaste phare des années 60. Les époques ont leur folklore, comme les régions ont leur spécialité.
Alors pour l’amour de la ringardise, on joue le jeu des larmes de crocodiles devant Les Parapluies de Cherbourg, quand bien même le mélodrame nous semblerait tendrement ridicule.
Ces premiers films sont évoqués : Lola, La baie des anges… à travers des photos en noir et blanc d’Anouk Aimée, anguleuse et sulfureuse dans cette lumière qui la sublime, le visage fumeur et le sourcil désinvolte, comme pour évoquer un début balbutiant de Nouvelle Vague.
Des couleurs, il en met plus que de raison, et du kitsch, il en a à revendre. C’est l’esprit de Jacques Demy que nous fait percevoir l’exposition. Son « art poétique » pour rendre compte de sa vision de la vie. Mais il ne faut pas s’y tromper, l’univers de Demy est un anti-carnaval. Les sourires sont nostalgiques, et les sujets sont graves : absence, désamour, guerre d’Algérie… Comme dans une fête triste, on pénètre dans l’univers des Parapluies de Cherbourg, où seuls les papiers peints semblent gais, où la mièvrerie détonne par rapport à la déprime ambiante.
Et puis il y a évidemment la beauté angélique de Catherine Deneuve que nous, la jeune génération, on n’a jamais connue comme ça sur les écrans. De sorte que la première fois qu’on a vu un film d’elle jeune, on a demandé qui était cette jolie blonde. Ici en Peau d’âne, là en Angélique, et là dans l’intimité d’un tournage, entre deux prises, la clope au bec.
Ici et là, des caisses sont installées, où l’on peut écouter les chansons de ces films « en-chantés » comme se plaisait à les définir leur réalisateur. Oui, car que seraient les films de Demy sans la musique ? Celle de Michel Legrand, nostalgique d’une époque pas si étrangère où l’histoire se lit dans les papiers peints.
C’est dans la salle réservée à Peau d’âne que la féérie semble plus naturelle. Il y a un côté Disney dans les chansons, Jacques Perrin et Catherine Deneuve main dans la main courent en chantant dans les blés, pour un très chouette moment has been et touchant.
Et peu à peu, sont évoqués d’autres films, ceux du désenchantement. Tout s’assombrit, des teintes roses et vertes, on est passé à des noir et blanc filtrés de rouge, qui nous feraient presque penser aux films sulfureux d’un certain Tim Burton.
L’exposition Jacques Demy c’est tout le charme de la cinéphilie, telle qu’elle a existé dans ces années-là. Ce que nous trouvons de sympathiquement vieillot dans ce cinéma y est concentré. Les couleurs criardes, le noir et blanc persistant, l’image vieillie, et les intonations un peu ampoulées des comédiens. Dans un coin, on peut s’attarder sur la « cinémathèque privée » de Jacques Demy, des piles de pellicules dans une étagère font rêver à ce temps révolu des bobines magiques. En somme, c’est bien une exposition de Cinémathèque, directement en lien avec la vocation de ce lieu : la conservation des vieux matériaux qui ont fait le cinéma d’avant.
Marguerite Kloeckner
Le monde enchanté de Jacques Demy, du 10 avril au 4 août 2013
Cinémathèque Française
51, rue de Bercy, 75012, Paris.
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