Eric Reinhardt : L’amour et les forêts

/Beaucoup de choses ont été écrites au sujet du roman d’Eric Reinhardt, L’amour et les forêts. Il faut reconnaître à Eric Reinhardt un réel talent de conteur et la capacité de nouer des intrigues complexes qui tiennent le lecteur en haleine. Il faut reconnaître qu’il a le courage, dans ses romans, de se frotter au réel dans ce qu’il a de plus sordide, de plus déprimant mais aussi de plus lumineux.

Eric Reinhardt est souvent comparé à Michel Houellebecq et on peut justifier ainsi cette comparaison hâtive : tous deux s’en prennent au quotidien des classes laborieuses et à leur vie plus ou moins déprimante. Reinhardt, cependant, ne sombre jamais dans le nihilisme de Houellebecq. Reinhardt est moins désenchanté, il y a en lui quelque chose de plus féminin, donc de moins idéaliste et de plus viscéralement optimiste qu’en Houellebecq. C’est ce qui rend la lecture de ses romans moins exaltante, moins fascinante mais aussi moins dévastatrice.

En dépit de toutes ses qualités, il y a néanmoins dans ce nouveau roman une part qui cède trop facilement aux travers contemporains sans parvenir à s’en affranchir comme le devrait une œuvre vraiment originale et qui prétendrait s’établir dans le temps. Cela se joue surtout dans l’écriture trop souvent inégale et dont les incohérences grammaticales et syntaxiques, les facilités de langage, irritent. Eric Reinhardt retombe dans les mêmes travers que précédemment et nous sommes en droit de nous interroger : comment mettre en place la critique ou la distanciation nécessaires à l’écriture romanesque quand on paie, à tout instant, son tribut à l’opinion dominante, à sa langue technocratique et démembrée, aux poncifs qu’elle véhicule, au pathos qu’elle étale partout ?

Il arrive ainsi que la lecture soit rendue pénible tout simplement par la laideur de certaines phrases, née de leur incorrection grammaticale ou du sentimentalisme mièvre qu’elles véhiculent. On aimerait beaucoup que la langue soit hissée à un même niveau d’exigence que l’intrigue, la trame psychologique et le scénario, pour qu’un tel roman atteigne au chef-d’œuvre.
On aimerait éviter des phrases de ce type : « Elle avait choisi de mettre sa plus belle robe, une robe toute simple, en drap de laine marron foncé, d’excellente fabrication, achetée dans une boutique de Metz, qu’elle adorait, de luxe, sous les arcades de la rue Gambetta, entre la gare et le bureau de son mari, en solde. »
Et des noms aussi horripilants et anti-romanesques que celui de l’héroïne, Bénédicte Ombredanne, dont le patronyme, systématiquement accolé au prénom (et pour cause), revient à tout bout de champ dans le roman. On aimerait que le roman nous fasse quitter les turpitudes de la société techniciste et son langage d’une laideur accablante. Qu’il nous élève jusqu’à un seuil critique où l’on puisse se dire qu’enfin nous avons quitté la bassesse et la vulgarité contemporaines et que nous pouvons, isolés dans une langue plus riche et plus profonde, rire de ses travers et de ses aberrations.
Ce seuil critique, nous l’atteignons parfois, mais trop rarement, et c’est ce qui nous plonge dans la perplexité quand nous lisons ce livre.

 

Eric Reinhardt, L’amour et les forêts, Gallimard 366 pages.

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