Bach selon Gardiner

""Sir John Eliot Gardiner est sans aucun doute l’un des plus fins connaisseurs de Bach et de son œuvre vocale, à laquelle il a quasiment voué sa vie, Bach était un artiste d’une telle prééminence qu’il semble qu’il faille entrer en Bach comme en religion pour se mettre au service de sa musique, ainsi que l’a fait Glenn Gould dans un autre registre.

Sir John Eliot Gardiner a interprété les œuvres majeures de Bach dont il a laissé de célèbres et magnifiques enregistrements, notamment une Passion selon Saint-Jean enregistrée avec le label Solo Dei Gloria qu’il avait créé en 2005 pour enregistrer l’intégralité des cantates de Bach qu’il avait fait jouer au Chœur Monteverdi en Allemagne lors du Jubilé de l’an 2000 au cours d’un célèbre pèlerinage.

C’est également depuis ce Jubilé qu’il s’est mis à travailler à ce qui deviendrait une somme de référence sur Bach, Musique au château du ciel, récemment traduite et publiée en français. Ce livre a pour ambition de dépoussiérer les idées reçues sur Jean-Sébastien Bach, génie énigmatique dont nul n’a encore su percer le mystère, de la même manière qu’a été dépoussiérée, sinon révolutionnée, l’interprétation chorale de Bach par le chœur Monteverdi que Gardiner a monté en 1964 et qu’il continue de diriger.

« À bien des égards, le Monteverdi Choir, écrit Gardiner, a pris naissance comme un anti-chœur – en réaction contre cet ensemble harmonieux et bien élevé qu’était de mon temps la célèbre chapelle du King’s College, dont le credo était : « Ne jamais chanter plus fort que ce qui est joli. L’apogée de ce style avait été atteint pour moi par l’interprétation, lors du service funèbre en l’honneur de Boris Ord, de Jesu, meine Freunde – le plus long de tous les motets de Bach, et le plus difficile à exécuter –, chanté en anglais, les lèvres pincées, avec une préciosité mièvre (…) Comment pouvait-on traiter cette musique si merveilleusement exubérante, que je connaissais depuis que j’étais enfant, d’une manière tellement exsangue et affectée ? N’était-ce pas comme si l’on ajoutait une couche de poudre et quelques mouches sur le portrait du vieux cantor à l’air sévère ? »

Ambition admirable, sinon raisonnable. Il faut cependant mettre un bémol à l’ouvrage écrit de Gardiner. S’il a profondément compris Bach et l’a merveilleusement interprété, rendant à sa musique toute sa puissance d’origine, son livre est, par bien des aspects, difficile d’accès, ce qui ne devrait pas être le cas, eu égard au caractère universel de la musique de Bach.

Ce livre est si documenté, si foisonnant et si ambitieux que quiconque n’est pas un familier de l’époque de Bach, de sa musique, de sa famille et de son histoire, s’y perdra certainement et assez rapidement. C’est une somme incontestable, mais une somme pour spécialistes, semble-t-il car, à force de notes et de renvois, de digressions historiques et de ramifications, on a de la peine à suivre le propos et à comprendre où l’auteur veut nous mener.
Certaines biographies monumentales et très précises se donnent à lire comme des romans (c’est le cas de celle que Franck Lestringant a consacrée à Gide chez le même éditeur et qui se lit avec beaucoup plus d’aisance et de plaisir, bien qu’elle soit deux fois plus volumineuse, et même pour qui n’est pas un fin connaisseur de la vie et de l’œuvre du prix Nobel de littérature.)
Celle de Sir John Eliot Gardiner est trop broussailleuse, son écriture est par trop inégale, parfois drôle, parfois docte, souffrant parfois d’un trop-plein de références et de comparaisons à l’actualité qui ne font que l’alourdir, et même l’obscurcir.

Gardiner a l’ambition de nous éclairer sur la naissance et l’éclosion du génie de Bach, il parvient davantage à obscurcir l’idée que l’on peut en avoir. Il faut en conclure que la nature n’est pas si injuste qu’on peut le penser et qu’elle concentre rarement tous les dons chez une même personne, Gardiner étant beaucoup plus à même de nous émerveiller par la musique que par l’écriture.

John Eliot Gardiner, Musique au château du ciel, Flammarion, 746 pages

Le Chœur Monteverdi dirigé par John Eliot Gardiner donnera la messe en si mineur de Bach le 1er avril 2015 au Grand Théâtre d’Aix-en-Provence et le 3 avril à la Philharmonie de Paris

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