Dieu est mort. L’homme aussi

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Avec Solitude du témoin, Richard Millet continue de croire. De croire au pouvoir de la littérature, à la vérité de la langue ; de croire qu’il reste des oreilles pour l’entendre, des yeux pour voir ce qu’il montre ; de croire que nous ne sommes pas tous moribonds, pas tous des zombies.
Il ne peut s’en empêcher. D’où l’invective, d’où les sentences qu’il profère. Pour réveiller les presque-déjà-morts. Comme Bernanos, comme Bloy.

Le problème des catholiques, c’est de ne pas pouvoir perdre espoir. Leur force et leur faiblesse, c’est d’avoir la foi malgré tout, malgré les autres, contre tous et contre le monde. Et l’écrivain catholique est en position plus périlleuse encore, seul et se voulant témoin ; se voulant, comme le prophète, celui qui rend témoignage à la lumière.
Hérode Antipas fit décapiter le prophète. En ce temps-là, c’était le monarque qui condamnait. Aujourd’hui, c’est l’opinion qui juge et qui condamne par la voix des médias de masse. Millet n’est pas Jean-Baptiste. Il n’en demeure pas moins que si son combat contre l’Esprit du temps est vain (c’est-à-dire nécessaire), son rôle de témoin prend toute sa dimension.

Le témoin est celui que l’on convoque au mariage, au duel ou après un crime.
Le mariage et le duel n’ayant plus cours à notre époque (force est de constater que l’interdiction du duel a entraîné à sa suite l’abandon du mariage, l’un et l’autre face à face intimes et exclusifs qui convoquent le sang, devenus insoutenables), il ne reste qu’à rendre témoignage du crime. Le crime commis contre la langue, donc contre la vie.
Au commencement était le Verbe.
Que peut être un monde que le Verbe déserte sinon un monde qui se tait, qui se terre, qui s’éteint, soit un monde que gagnent les ténèbres ? Refuser le Verbe, c’est refuser le pouvoir de nommer, c’est refuser tout simplement d’être dans la vie. Verbum, logos : soit la parole, soit ce qui fait voir, ce qui actualise.
« La langue est la maison de l’être. En sa demeure habite l’homme, écrivait Heidegger. » Or la parole n’a plus de valeur, aujourd’hui, et la langue est réduite aux technolectes, à n’être plus qu’un babil.
« Le fantasme d’une langue simplifiée va de pair avec un esprit abaissé ou esclave des maîtres du langage, en l’occurrence les publicitaires qui vont main dans la main avec les politiques, sous l’œil bienveillant du capitalisme mondialisé dont on ne dira jamais assez qu’il a plus besoin d’un langage que d’une langue, écrit Millet. »

L’humanité sombre, et le fait avec un plaisir étonnant, avec un détachement surprenant. Sans doute se laisse-t-elle aller à son obscur désir d’auto-destruction. Sans doute le capitalisme mondial, triomphant par le biais de la presque omnipotente Technique, n’est-il que l’objectif que l’humanité – en son désir refoulé d’anéantissement – s’était assignée pour s’éliminer elle-même le plus rationnellement et le plus efficacement possible. C’était l’intuition d’Ellul.
L’histoire de l’humanité serait alors celle de la quête, non pas du Graal, mais du moyen de se faire disparaître totalement.

Après tout, Dieu est mort, pourquoi l’homme vivrait-il ? Il faut bien que quelqu’un porte témoignage de la mort de l’homme.

 

Richard Millet, Solitude du témoin, Léo Scheer

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