Par Christine Sourgins, historienne de l’art*
Les vidéos montrant les destructions d’œuvres d’art à Mossoul viennent de soulever une émotion considérable. Mais n’y a-t-il pas d’autres formes de vandalisme, certes plus feutrées, mais du coup passées inaperçues ? Ainsi les décisions prises par la nouvelle direction de Louvre, risquant de réduire le « musée le plus fréquenté du monde » à un musée partiel et partial, discriminant.
En 2010, le pouvoir exécutif d’alors avait décidé de « créer au Louvre un département consacré aux arts des chrétientés d’Orient, des empires byzantins et slaves », décision entérinée par le Conseil d’administration de l’établissement public du musée, alors présidé par Henri Loyrette. La création du département des Arts de Byzance et des chrétientés d’Orient fut annulée le 15 avril 2013, jour de la prise de fonction du nouveau président du Louvre, Jean-Luc Martinez. C’est dire si cette décision a été prise rapidement, « sans qu’ait été menée une réflexion approfondie », comme le déplore dans une lettre à La Croix, l’ancienne responsable de la section copte au Louvre et conservateur général honoraire du patrimoine, Marie-Hélène Rutschowscaya.
Celle-ci montre qu’on ne peut, pour justifier cette suppression, invoquer des raisons d’économie. L’opération avait été prévue à budget constant, le personnel nécessaire se trouvant déjà au sein du Louvre. L’espace ne manquait pas non plus (le futur département devait occuper l’aile Richelieu) et les œuvres étaient déjà en possession du musée (1). Or elles sont actuellement présentées, lorsqu’elles le sont, dans un joyeux désordre, dispersées dans huit départements. Marie-Hélène Rutschowscaya parle d’« aberration » : des objets coptes sont conservés au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, au département des Objets d’art etc … Autrement dit, ces œuvres sont « déconnectées de tout contexte historique et culturel ». Le musée en persévérant dans cette incohérence organise auprès du public (comme des chercheurs) l’invisibilité et l’illisibilité de ces œuvres et des cultures dont elles témoignent.
Le silence complet qui a entouré ce revirement étonne : quasiment pas d’échos dans les grands médias. Que n’auraient-ils pas dit si on avait supprimé, le projet de département des arts de l’Islam, celui du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem, Marseille) ou celui des Arts premiers ?
Pourquoi renoncer ?
Il semble que ce nouveau département ait été un « sujet clivant » dès ses prémices. Certains conservateurs auraient déploré un regroupement d’œuvres en fonction de critères religieux. Voilà des conservateurs peu au fait de ce qui se pratique dans d’autres grands musées du monde, où une approche civilisationnelle, et non pas confessionnelle, est mise en place. Quelle manque de vergogne d’invoquer ce critère après l’ouverture des arts de l’Islam ! On nous dit également que ce projet aurait nécessité une importante réorganisation des autres départements et de leurs champs de compétences ; mais le département des arts de l’Islam posait les mêmes problèmes et cela n’a pas arrêté le projet.
Les expositions au musée du Louvre, Armenia sacra, Sainte Russie et Chypre en 2013 montrent l’intérêt suscité par ces sujets. De plus, l’actualité s’accélère au proche Orient et l’on ne peut plus dire, avec le ministère de la culture alors dirigée par Aurélie Filippetti, « que la création de ce département n’était pas une urgence ».
Depuis, l’État islamique (appelé pudiquement Daesh) n’a cessé de sévir, détruisant massivement et les hommes et le patrimoine culturel : celui des chrétiens d’Orient, notamment en Syrie et en Irak, est directement visé.
La lettre « noûn » stigmatise, pour la persécution, les Chrétiens comme autrefois l’étoile jaune, les juifs.
La France ne s’engagera-t-elle qu’à larguer des bombes alors que le combat contre l’ignorance est fondamental ? Car l’ignorance nourrit le mépris et le mépris alimente la violence.
Il est temps que le « devoir d’histoire » vienne apaiser et corriger le « devoir de mémoire » car la mémoire est passionnelle, partielle et partiale.
Vandalisme soft ?
Certes, l’exposition Koons prévue au Louvre début 2015, n’aura pas lieu : le mépris des chrétientés Orientales aurait rendu l’arrogante présence de l’Art contemporain, obscène, au sens premier du terme (2).
Mais la douloureuse actualité de « l’Orient compliqué » devrait interroger la direction du Louvre : où est le respect de la diversité des cultures ?
La crédibilité de l’universalité du musée est en jeu mais aussi la crédibilité de la laïcité qui doit permettre à chaque culture d’être respectée…
Ce genre de renoncement, qui se joue dans l’atmosphère cossue des administrations, n’est–il pas une forme de vandalisme soft ? La nôtre (3)..
(1) Les estimations qui circulent font état de 11.000 pièces (10.000 œuvres coptes et un millier byzantines et post-byzantines). Elles concernent l’Europe orientale (Grèce, Balkans, Ukraine, Arménie) la Russie, le Proche-Orient chrétien (Liban, Palestine, Syrie…) et l’Égypte copte jusqu’au Soudan et l’Éthiopie.
(2) Sinistre, de mauvais augure. L’AC, l’art très contemporain, a pour leitmotiv que « la destruction est une création », exposant à prix d’or le fruit de ses démolitions (ex cliquez).
(3) D’autres exemples de vandalisme public : laisser se délabrer le patrimoine, voir l’état de certaines églises à Paris…l’éventuelle destruction des Serres d’Auteuil…etc.
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