par Christine Sourgins*
Martial Raysse perça dans les années 60 avec le Nouveau Réalisme, puis revint à une peinture figurative moins « pop », dans les années 70 ; s’en suivit une traversée du désert médiatique jusqu’à ce que François Pinault s’intéresse à lui.
Le méga collectionneur, après avoir largement contribué à l’exposition de Raysse au centre Pompidou l’an passé, lui offre, en 2015, l’intégralité de son Palazzo Grassi de Venise. La presse entonne les louanges du « plus grand peintre vivant français ». C’est gentil pour les autres mais ce genre de formule doit inciter à la méfiance car la flatterie pourrait cacher, derrière l’arbre Rayssien, la déforestation de la scène picturale française.
Dans un article de Paris Match(1), Raysse, longtemps snobé par les acheteurs officiels français, ne mâche pas ses mots : « la plupart des musées acquièrent des horreurs. Si encore ils avaient acheté des chefs-d’œuvre, tels ¬Lucian Freud ou Otto Dix, d’accord. Mais non, ils préféraient des artistes ridicules ». « Que des gens qui sont payés par l’État pour défendre les artistes ne m’aient pas défendu plus, j’avoue, c’était assez incompréhensible ».
Voici un témoignage de l’abandon des peintres par la bureaucratie culturelle qui aurait pu figurer dans le livre « Les années noires de la peinture »(2). Mais, ajoute Raysse, « on ne peut rien faire contre ceux qui aiment la peinture abstraite… », voilà qui est plus curieux : Raysse en est resté à la querelle Figuration/Abstraction ? Il ne semble pas avoir vu la montée du conceptualisme en art qui a été le vecteur de sa financiarisation. Se tromperait-il d’adversaire ? Ou veut-t-il ménager son méga collectionneur qui raffole de babioles conceptuelles ?
Paris Mach pose alors une question embarrassante : « Vos deux collectionneurs principaux (3) adorent l’art contemporain. À vos yeux, 90 % de ce qu’ils possèdent ne vaut rien ? »
Raysse répond qu’il préfère ne pas se prononcer et rit :
« Chacun a ses goûts. Moi, je m’adresse aux connaisseurs de peinture. Je suis sévère avec l’art contemporain parce que je sais très bien le faire. Et parce que je l’ai fait avant tout le monde. Je peux donc me permettre de le critiquer ».
« Je cherche à montrer une alternative à l’art contemporain. Montrer à des jeunes gens qu’il est encore possible de s’en extirper. On n’est pas condamnés à l’art contemporain, au contraire, on peut faire autre chose ».
Et Raysse de défendre la passion de peindre :
« La véritable peinture, c’est du désir. C’est pour ça que l’on voit tellement de tableaux que les gens répètent. Car ils vont peindre sans désir, comme des fonctionnaires… ». Puis il se livre à une réhabilitation de la grande peinture dans tous les sens du terme : « Ma peinture s’inscrit en totale contradiction avec celle des cinquante dernières années, où le peintre part sans savoir ce qu’il fait. Le prototype en la matière étant Picasso. Moi, je fais des dessins préparatoires, je m’attache à la peinture telle qu’elle a été faite. Je dessine des personnages, je les mets en situation, et ensuite je transpose mes modèles sur la toile. Si vous partez à l’aventure avec de grands tableaux comme les miens, vous risquez de vous noyer. »
Pour finir par un éloge des maîtres :
« je suis très humble face aux maîtres, parfois j’ai même honte… Plus on progresse dans la peinture, plus on trouve que les anciens sont sublimes ».
Certes la modestie n’étouffe par Raysse : ne pas l’acheter était incompréhensible « pour moi et pour le prestige de la France » sic. « Si j’agrandissais mes petites statues, que j’en faisais de 4 mètres de haut, je foutrais tout le monde en l’air à la Fiac » : chiche, que ne tente-t-il l’expérience ! Et concernant sa période de jeunesse, pourtant récusée : « j’étais assez doué quand même »…
Les œuvres sont-elles à la hauteur des propos ?
Rendez-vous à Venise, ou bien, ainsi que le dit François Pinault, après avoir traité Raysse de génie, « l’histoire jugera », (comme si un doute planait ?)…
Match nous avait habitués à monter en épingle certains artistes d’AC fort « spectaculaires » …la parole se libère donc un peu en faveur de la peinture. On s’en convaincra en lisant « Voir ou avoir »(4)dans le Monde diplomatique qui déplore qu’ » une grande peinture existe aujourd’hui en France, bien qu’elle soit ignorée des pouvoirs publics et méprisée par la critique » et regrette qu’aucun lieu, en France, n’expose régulièrement la création picturale contemporaine.
Mais les grands médias n’analysent toujours pas comment on est arrivé à ce que « l’autorité du succès financier prime sur l’autorité du talent ». Redonner au « voir sa force subversive contre le croire clérical et marchand » supposera de donner plus souvent la parole à ceux qui ont démonté le système de l’Art financier…
(1) Paris Match, 12 avril 2015, cliquez
(2) Livre d’Aude de Kerros, Marie Sallantin et Pierre-Marie Ziegler , éditions Pierre-Guillaume de Roux, cliquez
(3) allusion probable à François Pinault et Marin Karmitz.
(4) Mai 2015, p. 14 et 15. L’article s’appuie sur le livre de Gérard Mordillat et du peintre Patrice Giorda, » Conversations sacrées », l’Atelier contemporain, 2015.
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