Les ratés de l’aventure

""« La seule consolation réside dans l’exemple impossible de Rodanski : croire à tout prix que les ratés de l’aventure sont les aventuriers de la littérature. »

Stanislas Rodanski, poète. Né en 1927, interné volontaire dans un hôpital psychiatrique à 27 ans. A passé 27 ans dans cet exil. Poète surréaliste exclu par André Breton après-guerre, donc authentiquement surréaliste.
C’est le point de départ du livre de Betrand Lacarelle, par ailleurs auteur de Jacques Vaché et d’Arthur Cravan précipité, livre hybride ni essai ni biographie ni roman ni poème mais empruntant à tous ces genres et comparable en cela au magnifique Austerlitz de W.G. Sebald.

Ode à l’esprit d’aventure et pamphlet magistralement déployé contre la zombification du monde, contre ce que Derrida ou Muray avaient déjà perçu comme la spectralisation du monde envahi par les vivants-morts, l’engouement pour les films et les jeux vidéo de zombies n’étant que le reflet de la réalité : nous sommes devenus des êtres froids, rationnels et sans cœur.
Finies l’aventure mais aussi la littérature vécue comme un palliatif à l’aventure impossible ? « L’aventure, c’est l’échec objectif, mais c’est l’être au cœur de l’échec. Tristan, Lancelot, Perceval ont tous échoué mais trouvé l’être et ouvert leur cœur », écrit Lacarelle.
Comment vivre l’aventure dans un monde où l’échec n’a plus de place ?
Évacuer l’échec, c’est évacuer l’aventure au sens noble du terme, non pas « l’aventure entrepreneuriale » qui ne porte en elle aucun échec, qui fuit plus que tout l’échec, mais l’aventure de l’être, celle des hommes ; des vivants. Le vivant-mort ne connaît pas l’aventure ; ne connaît pas plus l’inquiétude ou l’ennui.

« La société contemporaine est une conspiration totalitaire contre l’ennui. L’inquiétude nous rend libres. »

Qui comprend encore cela ? L’ennui et l’inquiétude ne sont-ils pas à l’origine de l’aventure ? Non pas l’aventure sponsorisée, sportive, mais celle de l’âme, inquiète, tremblante. Frank Lestringant a donné pour titre à sa monumentale biographie de Gide, André Gide l’inquiéteur.
Quelques jours après la mort de celui que certains qualifiaient de diable en personne, en 1951, Mauriac avait reçu ce télégramme « Il n’y a pas d’enfer. Tu peux te dissiper. Préviens Claudel. ANDRE GIDE. » L’auteur de ce canular n’était autre que Roger Nimier, dont nous croisons aussi l’ombre dans La Taverne des ratés de l’aventure. Gide, les surréalistes, Rodanski, Nimier. Une magnifique lignée. Autant d’aventuriers ratés, qui ont tout donné à la littérature. Dynamiter le réel factice pour permettre l’aventure, ce fut encore la tâche de Debord.
Bernanos a écrit en 1947 La France contre les robots. Il eût tout aussi bien pu écrire « La France contre les zombies : le zombie en tant que matière première de la société de consommation », comme l’écrit Lacarelle.

La tâche immense de l’écrivain aujourd’hui : retrouver le sens de l’aventure, soit détruire les zombies, mais pas dans un jeu virtuel. Non, les éliminer réellement. Faire advenir le réel. Combien s’y sont heurtés ? Combien ont trouvé le suicide au bout de leur route ?
Dans un monde zombifié, comme le montre l’auteur de ce livre, on ne se tire plus une balle dans le cœur, mais une balle dans la tête.
De là à penser que les hommes n’ont plus de cœur ; qu’ils ne sont plus qu’intellect… Rodanski, lui, a préféré s’exiler, vivre parmi les ratés, trouver refuge à l’asile. Rodanski, Artaud, deux trajectoires stupéfiantes. Dans un monde dominé par la raison, il faut aimer les fous pour continuer de croire que la vie persiste.
Une ode magnifique au ratage intégral !

 

Bertrand Lacarelle, La Taverne des ratés de l’aventure, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 233 pages.

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