Romain Gubert, dans Le Point du 19 novembre 2015 écrit : « en Syrie, Washington et Paris ont, parallèlement à la lutte contre Daech, un tout autre objectif : la chute de Bachar el-Assad, l’homme par qui tout est arrivé. Le premier responsable de ce chaos et des 250 000 victimes civiles. »
Une leçon de géopolitique s’impose.
Bachar el-Assad est devenu, depuis quelques années, le bouc-émissaire idéal, pour reprendre une expression de Bruno de Cessole. Bachar, responsable du chaos au Moyen-Orient ; Bachar, assassin de son peuple ; Bachar, créateur de Daech. Est-il permis de douter de la parole des gouvernants français, américains, anglais, ceux-là même qui commettent tant d’erreurs au Moyen-Orient depuis des décennies ?
Ceux qui ont détruit l’Irak et la Libye et qui sont en voie de faire de même en Syrie ? Ceux qui sont les premiers responsables de l’exode massif auquel nous assistons depuis des mois ? Est-il également permis de douter de l’objectivité d’une certaine presse ? Assad est-il coupable du massacre des chrétiens d’Orient et du développement du wahhabisme ?
Ce sont pourtant les États-Unis et la France qui sont les indéfectibles amis de l’Arabie Saoudite et du Qatar, ces promoteurs du wahhabisme dont nous récoltons aujourd’hui les fruits ; qui vendent leurs armes aux uns et aux autres. N’est-ce pas la France qui vient de vendre ses navires de guerre Mistral à l’Égypte, grâce à « un financement saoudien significatif », comme l’affirme une source gouvernementale, alors qu’elle aurait dû les vendre à la Russie à qui elle fait désormais les yeux doux, comptant sur elle pour écraser l’hydre Daech surgi du chaos qu’elle a contribué à installer en Syrie ?
Marc Fromager, directeur de l’Aide à l’Église en Détresse en France, une association qui collecte plus de 100 millions d’euros par an pour venir en aide aux chrétiens persécutés, et rédacteur en chef de la revue L’Église dans le monde, donne une toute autre version des faits dans son livre Guerres, pétrole et radicalisme. Les chrétiens d’Orient pris en étau. La Syrie aurait été déstabilisée par les grandes puissances sunnites de la région avec le soutien plus ou moins actif de la France et des États-Unis.
Mettre le chaos dans un État, c’est augmenter ses chances d’exploiter les gisements de gaz et de pétrole à sa place
Le fait est que nous assistons à une guerre que se livrent sunnites et chiites pour dominer le Moyen-Orient. La Syrie à majorité sunnite étant gouvernée par un clan alaouite, soit une secte chiite, l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Émirats, la Turquie, ont intérêt à ce que le régime Assad tombe pour plusieurs raisons.
D’abord parce que cela permettrait à l’Arabie Saoudite d’étendre sa zone d’influence et de tracer un véritable arc sunnite qui isolerait l’Irak et l’Iran dont les populations sont majoritairement chiites ; ensuite parce que la Syrie dispose de réserves de pétrole bien plus importantes que l’on ne pensait. Par ailleurs, en 2010 a été découvert, au large des côtes israéliennes, un gigantesque gisement de gaz naturel sous-marin qui devrait être partagé entre la Grèce, la Turquie, Chypre, Israël, la Syrie et le Liban.
Mettre le chaos dans un État, c’est augmenter ses chances d’exploiter les gisements de gaz et de pétrole à sa place, l’État Islamique en sait quelque chose. Le chaos régnant au Liban, il n’a pas été très difficile de convaincre l’Union Européenne de faire pression sur la Grèce pour qu’elle vende à la hâte ses ports, ses entreprises publiques et ses compagnies pétrolières d’État.
Reste à résoudre le problème de la Syrie.
La Syrie est non seulement l’alliée des Russes et de l’Iran, mais en plus elle protège des minorités chrétiennes, yézidies, alaouites, recèle d’importantes richesses souterraines et sous-marines et, ce qui a sans doute accéléré la décision de faire tomber ce régime, s’est opposée à ce que le gazoduc américano-européen Nabucco, qui devait relier l’Iran et les pays entourant la mer Caspienne à l’Europe centrale en connectant le gazoduc du Qatar, traverse son territoire.
La Syrie ne pouvait pas laisser traverser son territoire par un gazoduc qui viendrait directement concurrencer celui de son allié russe.
« Il y a quatre ans, explique Marc Fromager, le Qatar et la Syrie étaient des pays amis. Du jour au lendemain, la situation n’est plus la même. Là encore, la guerre en Syrie a pour objectif de renverser le régime. Il s’agit de punir Bachar al-Assad et surtout de le remplacer par quelqu’un davantage soumis aux intérêts de la péninsule. Bref, Bachar al-Assad se retrouve à l’intersection de deux réalités très différentes mais qui se rejoignent : la guerre entre sunnites et chiites d’une part et un projet de gazoduc d’autre part. D’une manière très pragmatique et logique, l’Arabie Saoudite et le Qatar ont donc convenu que le président syrien était une cible dont il fallait se débarrasser, d’où la guerre persistante dans ce pays. »
Les chrétiens, comme d’habitude, en sont les dommages collatéraux, mais ceci est une autre histoire qui n’intéresse personne.
Marc Fromager, Guerres, pétrole et radicalisme. Les chrétiens d’Orient pris en étau, éditions Salvator, 191 pages
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