Cosmos/Intime : L’assemblée des bons élèves

""La Maison de la Culture du Japon à Paris présente la collection du psychiatre Ryûtarô Takahashi qui a acquis, depuis 1997, 2000 œuvres retraçant l’évolution d’un monde artistique japonais. Cosmos/intime parce que « les œuvres […] ouvrent un passage vers le dehors, vers le monde illimité de l’au-delà.

  Les œuvres présentées attestent que l’exploration de soi poussée à l’extrême est de même nature que l’immensité du monde. L’intime ouvre au cosmos. »

Pour bien pénétrer cette intimité japonaise, avec toute la volupté que cela suppose, le visiteur averti pose ses yeux sur la première œuvre maîtresse : la citrouille psychédélique de Kusama. Le génie de cette œuvre réside dans l’ambiguïté du dessin, ceci n’est pas une citrouille, sans se méprendre on y verrait volontiers un régime de banane tâché de noir sur un fond noir et jaune.

Afin de ne pas abuser de la patience du lecteur, nous nous contenterons de citer quelques œuvres et quelques phrases qui les accompagnent, puisque l’admirable Jean Clair écrivait : « Peu d’époques comme la nôtre auront connu pareil divorce entre la pauvreté des œuvres qu’elle produit et l’inflation des commentaires que la moindre d’entre elles suscite. » Nous l’allons montrer tout à l’heure.

Kohei Nawa expose trois œuvres d’une série sans titre, auxquelles on attribuera le nom descriptif de « code barre ». Néanmoins, dans sa grande bonté, l’artiste nous donne la technique pour réussir en peinture : « J’incline la toile de 15 degrés, puis je fais couler la peinture depuis le haut » et le miracle de la pesanteur achève l’œuvre. Puis, voici le drapé fameux tombant du plafond, la robe de Cosette séchant après quelque émeute, c’est un autre sans titre de Muragama cette fois-ci, où l’on apprend qu’en cousant de maigres morceaux de tissus, l’artiste a voulu « mettre en valeur la couleur. » Dites, Jean Clair, qu’ont-ils fait ? Et l’académicien de répondre : « qui établira jamais le catalogue des couleurs disparues. » Mais comme la philosophie l’emportera toujours et qu’il fallait rendre sérieuses ces hardes exposées, la parole de l’artiste clôt le débat : « Malgré tout, les coutures visibles au dos me rappellent que cette pièce fait partie de moi, que je le veuille ou non. » Ce tissu de mensonges est inouï, c’est une sorte de vitrail qui ne passe pas la lumière, le vitrail de l’homme tissu.

Le chemin continue jusqu’à l’œuvre gigantesque devant laquelle les visiteurs se pâment : « ça c’est beau ! » disent-ils. C’est une peinture, acrylique et encre de Chine, de Kônoike, inspirée de l’incident de 2011 qui a fait découvrir à l’artiste le monde de la radioactivité et « a fait évoluer notre conception de l’acte de voir. » Cette secousse pour les yeux de l’artiste se traduit par une boule qui ressemble au monde mais qui est composée de chiens-loups crachant de petites épées qui forment une chaîne emprisonnant le monde, des jambes de jeunes filles cherchent à s’extirper de cette prison, et de vastes ailes de libellule portent ce monde au-dessus d’une mer déchaînée. Comme l’imagination est débordante, de l’autre côté de ce tableau immense : un scarabée remonte une guirlande pour éviter les flots diluviens.

""Après ce déluge serons-nous sauvés ? Non, car voici Izumi Katô : « Vers l’âge de 30 ans, il acquiert la conviction que l’art lui est nécessité vitale. » Ce transi de l’art, habité par les muses et suçant le lait de leurs mamelles, vit en une telle osmose avec sa peinture qu’il « peint avec ses doigts, car c’est en se confondant physiquement avec la toile qu’il peut créer. » Toutes les dérives d’un retour au primitif idéal sont contenues dans cette phrase, d’un artiste hanté par son œuvre et qui ne peut avoir le regard du créateur, étant lui-même imbibé de son matériau. Le microscope a-t-il des leçons à donner à l’artiste ? Se peut-il qu’en se confondant à l’œuvre, l’artiste garde le regard d’un sujet pensant ? C’est sans doute ici, un autre symptôme de la « décrépitude » dont parlait Baudelaire.

Et le visiteur égaré implore : « Tu vois quoi toi ? » Je vois Rain de Haruki qui semble être un monochrome « mais les teintes très subtiles et les contrastes de violets permettent de distinguer des traces laissées par la pluie. » Qu’on me passe l’expression, elle est de Yasmina Rezza : « Mais c’est une merde blanche. » Et pour les experts, renvoyons au peintre Philippe Lejeune, qui après avoir fait le procès d’un monochrome inutile conclut : « Il faut prendre l’imposture au sérieux ». En effet, l’art contemporain japonais, oui, mais lequel ?

Le talent de ce qui se nomme « art contemporain » et qu’on nommerait volontiers « sans titre », est de rendre vaine l’œuvre d’art. Les objets qui s’entassent dans les salles n’ont pour but que de ramener au néant, il écrit partout : peur, angoisse, autre espace, l’un veut combattre la morosité, l’autre parle de temps révolus, alors comment nommer ces miroirs du vide, ces passe-temps du damné ? Ce sont des vanités, de celles qu’on représentait sur les chefs-d’œuvre, de celles qui nous rappelaient l’Ecclésiaste et qui appelaient à être dépassées.

Enfin, le Japon est inexistant dans cette salle vide : du sexe, de la violence, de la peur, des trous de serrure pour voir cet au-delà fascinant, ce refus du style, tout cela n’est pas japonais mais mondial. De la mondialisation d’une pensée faussement intellectuelle, de la mondialisation d’un air vicié qui inonde et qu’on croit obligatoire de saluer et d’applaudir. Et tout ici relève du religieux, si l’œuvre est désacralisée c’est pour mieux adorer l’artiste, la star. Bientôt, nous en viendrons à regretter la franchise de Warhol : « J’ai commencé comme artiste commercial et je veux la finir comme artiste d’affaires. »

Il est déplorable que le nom de Sumiyoshi Akeji n’ait pas paru dans cette salle, le nom d’un artiste salvateur, de ce vieil homme, cet ancien, ce vénérable homme légendaire dont on aime à admirer la calligraphie. Un empereur de la toile japonaise écrasé par ces japonais d’Amérique. Dura lex, sed lex : sous les projecteurs, entre le saké et le champagne, ne brilleront toujours que les bons élèves, ceux qui savent le jeu de la provocation.

Dans l’intime cosmos des imposteurs, nous avons retrouvé le vieux monde mensonger, les vernis du vernissage et tant d’autres Tartuffe qui sont des purs de l’intellect et des désavoués du pinceau.

Baudouin de Guillebon

Cosmos/intime
Maison de la Culture du Japon
Du 7 oct. 2015 > 23 jan. 2016 à 12h

Horaires du mardi au samedi de 12h à 20h / Fermé les jours fériés
Entrée libre 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.