Un thé avec Dorian Gray

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Une séduisante mise en scène du Portrait de Dorian Gray, à la Comédie des Champs Élysées. 

Les Français aiment Oscar Wilde. Il est le moraliste le plus séduisant car son cynisme nous révèle la vraie nature humaine et sa causticité nous enchante car il nous fait rire jaune.
En France, nous avons eu Sacha Guitry, né trente et un ans après lui, dont l’anti conformisme et l’esprit volontiers alerte, s’attaquant à la morale publique comme aux conventions, peuvent les rapprocher dans un théâtre profondément vivant, où la légèreté se confond avec un certain goût de la provocation.
Tous les deux portaient un jugement ironique, redoutable, pour ne pas dire rédhibitoire sur les femmes. Et parfois, certaines répliques sont trempées dans la même encre. La sentence : « Les femmes sont faites pour êtres aimées et non pour être comprises », extraite du Sphinx sans secret, aurait pu être signée Guitry…

Esprit fécond, personnages enlevés et verve délicieuse qui donne un parfum de modernité à la pièce, on savoure l’adaptation de Thomas le Douarec du seul roman de Wilde, et qu’il a mise en scène, d’abord au théâtre Le Lucernaire, et maintenant à La Comédie des Champs-Élysées.
Jeu de scène et décors dépouillés, personnages magistralement interprétés, ce Dorian Gray réunit tout ce qu’on aime au théâtre. En plein règne victorien, la beauté du texte, la profondeur des personnages et l’histoire sulfureuse oscillent entre une réalité à la fois ambiguë et déchirante, et une imagination au bord de l’étrange et du romantisme noir. Basil Hallward, le peintre, joué par Fabrice Scott donne le tempo de la pièce en introduisant Dorian Gray (Arnaud Denis) dans son atelier et son salon, et en servant un thé amer à son vieil ami lord Henry, alias Thomas Le Douarec. Ce trio rappelle le mot de Montherlant qui avouait mettre un peu de lui-même dans chacun de ses personnages.
Wilde confiait de son côté : « Dorian Gray contient trop de moi-même. Basil est ce que je pense être, Harry ce que les gens pensent que je suis et Dorian ce que j’aurais aimé être en d’autres temps. »

/Mais il ne faudrait pas oublier la ravissante comédienne Sybil Vane (Caroline Devimes) dont s’éprend Dorian et qui comme tune erreur fatale provoquant leur rupture. C’est ainsi qu’on se trompe souvent sur Wilde, qui mettait l’art au-dessus de toute morale et qui en faisant du cynisme une vertu, pouvait mieux révéler les vices de l’âme humaine. « Un cynique est un homme qui connaît le prix de tout et la valeur de rien », écrit-il t-il dans L’éventail de Lady Windermere.

Avec son Portrait de Dorian Gray, l’amitié et l’amour volent en éclats. On se fâche par fidélité à soi-même et on se déchire pour une vérité et un mensonge qui sont les revers d’une même médaille. « Chaque fois que l’on aime, c’est l’unique fois où nous ayons aimé. Le fait que l’objet est différent n’altère en rien la sincérité de la passion ». Qui mieux que Wilde en son temps pouvait clamer ainsi les sentiments à fleurs de peau, faire rire et pleurer en même temps, quand certaines faiblesses se métamorphosent en force ?
Sur scène on s’esclaffe, on se bagarre, on pleure et on tue. Arnaud Denis, longues mains expressives, regard de braise, voix chaude et fragile à la fois promène de long en large une beauté éphémère. La beauté du diable en quelque sorte face à son portrait, miroir qui lui renvoie toute la cruauté du monde et l’échec de sa propre vie. À voir absolument.

PS : petit regret à la fin du spectacle, lorsque Thomas le Douarec tente de présenter ses excuses pour les accents misogynes de son personnage. Les spectateurs sont suffisamment intelligents pour ne pas succomber à cette bienpensance dont ils se seraient passés volontiers.

Le Portrait de Dorian Gray, à la Comédie des Champs Élysées.
Adaptation et mise en scène de Thomas Le Douarec, avec Arnaud Denis, Caroline Devismes, Fabrice Scott et Thomas Le Douarec.

Photos : Laurencine Lot

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