De quoi Léonard de Vinci est-il le nom ?

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La presse nous a conté une belle histoire, le 15 novembre.
Il était une fois un Léonard de Vinci rarissime, la seule toile du maître italien encore aux mains d’un collectionneur privé. Elle avait traversé les siècles, totalement inaperçue : c’est dire si les experts de nos aïeux étaient nuls. A tel point qu’en 1958 le tableau sera vendu 45 livres sterling, le pauvre !

Il y a trois ou quatre ans, les grands musées américains n’en voulaient toujours pas, quel manque de flair ! Mais Zorro est arrivé. Dès 2005, un trio d’experts misent sur l’authenticité, une restauratrice enlève les repeints, et là, miracle : Léonard apparaît dans sa splendeur devant les foules ébahies convoquées par Christie’s qui décroche un record du monde. 450 millions de dollars pour ce Salvator Mundi mais, si on traduit le titre, avoir « le Sauveur du monde » pour même pas un demi- milliard, c’est donné.

Que voit-on ? Un Christ extrêmement usé, avec des parties manquantes, notamment sur le visage. Mais la restauratrice est formelle : le sourire est léonardien, c’est donc un Léonard. Pourtant seule la main droite est de belle facture mais… elle est fausse, du moins le majeur. Cette dextre erronée ne peut pas être de la main de ce grand anatomiste qu’était De Vinci, comme le remarque le spécialiste Jacques Franck. L’expert signale aussi les boucles de cheveux trop régulières, trop raides pour être de la main du Maître.

Bref, c’est probablement une œuvre d’atelier, des environs de 1500, très usée, très restaurée, où le maître a pu intervenir de ci de là : comment a-t-elle pu battre des records ? Rien n’eut été possible sans Zorro-Christie’s qui a organisé un marketing « osé ». Tournée mondiale du supposé chef d’œuvre, jusqu’à Hong Kong. Malin, le plan de communication jouait autant sur l’aura de l’artiste que sur l’œuvre elle-même, surfant sur la vague du livre et film « Da Vinci Code » qui a renforcé l’universalisme du nom « Vinci ». « Le monde regarde » (« The World is Watching »), titrait une vidéo promotionnelle de la vente : elle ne montrait pas le tableau, mais des visiteurs émus, parmi lesquels Leonardo DiCaprio ou Patti Smith, grands experts de la Renaissance, comme chacun sait.

Mais surtout, last but least, le tableau a été proposé lors d’une vente… d’Art contemporain, ce qui est sans précédent. Le Vinci, ou ce qu’il en reste, voisinait avec un Warhol s’inspirant de… la Cène de Léonard de Vinci ! Bref tout a été fait pour détourner l’attention du l’état du tableau et se focaliser sur une belle histoire. L’euphorie des marchés boursiers aidant, « tout et n’importe quoi se vendent », l’acquéreur anonyme est-il de ces jeunes fortunés qui achètent pour frimer, recherchant plutôt une « marque » qu’une œuvre ? « Si Christie’s avait mis le Salvador Mundi dans une vente d’art ancien, les gens auraient été beaucoup plus exigeants, observe Nicolas Joly ? Là, ils vont essayer d’alpaguer un collectionneur d’art contemporain qui n’y connait rien… » (1). De l’utilité de l’AC pour fourguer de l’art ancien douteux ?

Thierry Ehrmann, interrogé par une radio, laissa entendre que l’acheteur peut être un de ces nouveaux musées qui fleurissent en Asie. Léonard est bankable : la Joconde a un prix, dit le directeur d’Artprice, car elle suscite un circuit muséal propre donc une billetterie et des bénéfices.

Le prix du « Vinci » s’est ainsi envolé à la hauteur du futur retour sur investissement. Une démarche comparable aux transferts faramineux des joueurs de foot où Léonard, capitaine d’une équipe muséale, battrait Neymar à plates coutures ? Mais le footballeur n’est pas dénué de qualités sportives, alors que le Vinci est à bout de souffle : si la valeur intrinsèque est tuée par le marketing, on peut prédire la disparition des experts, dont le silence embarrassé, à quelques exceptions, en dit long… Léonard est devenu un des noms du fétichisme contemporain de la marchandise et « néophyte » celui d’une espèce de pigeon.

Christine Sourgins

(1) « Vinci, le Christ et les marchands », Roxana Azimi, M le magazine du Monde, 11 novembre 2017, p.40.

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