Le combat continue  

La vie offre parfois de merveilleuses rencontres. Heureux ceux qui eurent le bonheur, comme le privilège, de croiser la route de Pierre-Guillaume de Roux, de sympathiser avec lui, de passer d’inoubliables instants rue de Richelieu dans une antre tapissée de livres, où régnaient esprit et liberté, refuge des auteurs en rupture de ban ou au verbe appuyé.

 De ROUX Pierre Guillaume – Copyright: Philippe MATSAS/Opale 


Je repense avec délice à ces instants volés, à nos interminables déjeuners Chez Loulou qui ne valaient sans doute pas ceux des Mousquetaires ;  à la remise du prix du livre incorrect au remarquable Racination, de Rémi Soulié, au premier étage de la Closerie des Lilas ; aux coups de Shako des Hussards pour deux perles de culture se baladant au milieu d’un catalogue débordant de pépites.
Je retiens encore sa passion pour Robert Brasillach dont il possédait les œuvres complètes, connues sur le bout des doigts, son air malicieux lors de la projection, au Gaumont Opéra Capucines, de Leur après-guerre ou le roman des Hussards, sous la baguette savante de Patrick Buisson.

C’est encore une longue amitié avec Gabriel Matzneff, un fier courage pour recueillir Richard Millet ou défendre la mémoire de Charles Maurras que son arrière-grand-père, brillant avocat, avait représenté aux heures cruelles.
Et comment oublier l’homme blessé par cet article du Monde, qui avait les défauts d’un vin trop jeune. Dire que fin janvier encore,  Pierre-Guillaume m’écrivait pour me dire son enthousiasme sur mon dernier tapuscrit, « véritable éloge de la création romanesque », dans lequel il tenait un rôle taillé sur mesure pour lui, celui d’un éditeur indépendant, amoureux fou des textes, assumant avec panache son côté politiquement incorrect.

Je peux aussi maintenant l’avouer, souvent j’avais de la peine de voir cet homme trop seul (heureusement Anne-Sophie Yoo veillait sur lui comme sur la prunelle de ses yeux), perdu dans des luttes sans espoir où le rôle du vaincu flamboyant lui collait à la peau.
Il m’évoquait ainsi Sisyphe, celui qui intéressait Camus avec ce « visage qui peine si près des pierres est déjà Pierre lui-même ! Je vois cet homme redescendre d’un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin ». Je le sais désormais, il fallait « imaginer Sisyphe heureux », tout simplement parce qu’il avait la Foi.

Qui osera reprendre le flambeau ? Ses enfants, Aliénor, ma consoeur, ou Ignazio, du pays des Muses ? Deux générations de passionnés en appellent une troisième, encore plus décidée, toujours plus anticonformiste.  
D’autres, devenus téméraires et désireux de poursuivre la lutte au service d’une littérature décomplexée et sans aucun interdit ?

Souvenons-nous, toutefois, que peu lui ont tendu la main alors qu’il affrontait seul les écueils de la vie et les vicissitudes s’attachant à tout éditeur résolument et férocement libre. Un beau geste est attendu, il sera le plus bel hommage à notre ami parti trop tôt.
Le combat continue.

 

François Jonquères

 

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