Rentrée littéraire 2008 : Annus horribilis

Par Salsa Bertin et Matthieu Falcone

Pas de Michel Houellebecq ni de Maurice G. Dantec cette année pour défrayer les chroniques et secouer la rentrée littéraire de leurs missiles de papier. Du moins n’avons-nous rien vu atterrir sur les étals des libraires, malgré les rumeurs qui ont circulé au début de l’été sur une éventuelle publication de l’auteur de La Possibilité d’une île en octobre. Coup de pub de l’éditeur ou intox d’un Houellebecq duquel il faut s’attendre à tout pour faire parler de lui ? Quant à Dantec, il se murmure, toujours dans les coulisses, que son éditeur (Albin Michel) lui aurait demandé de revoir sa copie et de laisser peut-être le temps à ses lecteurs de digérer les précédents romans quelque peu brouillons. Mais que l’on se rassure, ils ont déjà envahi les grands écrans avec La Possibilité d’une île, filmé par Houellebecq lui-même et Babylon AD de Mathieu Kassovitz, adapté du roman de Dantec.

Revenons donc à nos livres et à l’orgie de nouveaux romans que l’on annonce moins copieuse que l’an passé: 676 seulement ! dont 466 romans français. Les éditeurs seraient-ils en passe de devenir raisonnables ou serait-ce l’effet de la lutte acharnée que mènent les écologistes contre le gâchis de papier ? Peut-être tout simplement que le cru littéraire 2008 s’est mis au diapason des vendanges que l’on annonce d’ores et déjà laconiques. Si le génie littéraire semble être le grand absent de la rentrée – mais quoi ! on ne peut pas prétendre publier un nouveau Proust tous les ans – celui de la bêtise et du retour au stade analo-enfantin est de mise avec la (malheureusement) éternelle Christine Angot qui ne recule devant aucune déchéance et atteint dans son nouveau roman Le marché des amants des sommets rarement égalés dans la nullité syntaxique et la vacuité du propos, si ce n’est par Enculée un premier roman au titre hautement poétique de Pierre Bisiou qui narre à grands renforts d’obscénités gratuites comment il sodomise sa « copine ». Epatant !
Faudrait-il ajouter à cette liste Jour de souffrance de Catherine Millet ? Que reste-t-il à l’exhibitionniste  après des confessions intimes comme celles de Catherine M. ? La pornographe publivorace, en veine de révélations, nous gratifie d’une nouvelle confession, à rebours de l’image de femme libérée et scandaleuse : oui, Catherine Millet a souffert les affres de la jalousie… Bigre ! L’amorce d’une repentance ? Ou plutôt une stratégie pour encore faire parler de son petit « soi » assoiffé de scène médiatique.

Face à ce grand dénuement de la chair, d’autres ont préféré se vêtir plus religieusement, façon « danse avec la mort », ainsi Miserere de Jean-Christophe Grangé (voir notre critique) et Lacrimosa de Régis Jauffret, déjà en bonnes places dans la course aux prix littéraires. Se posant en arbitre, la belge Amélie Nothomb, ponctuelle comme une horloge suisse, entre sur scène avec son roman de la rentrée qu’applaudissent les critiques (toujours) élogieux.

Les prix littéraires : premier round

La première sélection des grands prix littéraires de l’automne a été dévoilée. Parmi les noms qui reviennent avec insistance voici ceux que nous avons retenu : Les pieds dans l’eau de Benoît Duteurtre, Prolongations de Alain Fleischer, Zone de Mathias Enard qui signe, dans un véritable tour de force une gigantesque fresque historico-fictive de 500 pages en une seule phrase ; Un chasseur de lions de Olivier Rolin et Là où les tigres sont chez eux de Jean-Marie Blas de Roblès, déjà récompensé par le prix Fnac et qui s’est si bien vendu que l’éditeur se trouve en rupture de stock. Et pêle-mêle : Jean-Baptiste del Amo, Salim Bachi, Tristan Garcia, Karine Tuil, Christophe Bataille, Michel Le Bris, Catherine Cusset.

On peut d’ores et déjà regretter que près de la moitié des auteurs présélectionnés soit publiée chez Grasset, Gallimard, Le Seuil et Flammarion, les grands abonnés des prix d’automne – les fameux « galligrasseuil & co ». On peut aussi s’étonner naïvement que la plupart des membres des jurys soient publiés chez ces mêmes éditeurs et qu’ils soient, pour certains, d’anciens lauréats de ces prix. On peut penser que tout ce remue-ménage n’est que vanité. On peut aussi s’en détacher et, c’est le choix que nous avons fait, lire ces auteurs délié de tout a priori en considérant leurs livres avec tout le respect qui est dû à une œuvre littéraire, mais sans complaisance.

Quelques livres de rentrée (à suivre)

Tant et si peu

Châtelain éponyme de la somptueuse demeure de Goulaine, éleveur de papillons, ancien viticulteur, marquis à ses heures, écrivain de la dernière heure, Robert de Goulaine régale ses lecteurs à chaque nouvelle production littéraire. Mais surtout, il dévoile une nouvelle facette de sa personnalité. Régulièrement, depuis « le livre des vins rares et disparus », il ravit le monde avec une prose à son image : déconcertante et nimbée de mystère.

« Tant et si peu » développe des accents nervaliens et cultive des correspondances symbolistes et alchimiques. L’écrivain explore les frontières floues entre le rêve et la réalité en un livre d’atmosphère qui laisse son empreinte longtemps après qu’on l’a refermé. Avec l’élégance des gentilhommes, Robert de Goulaine nous donne tant, prenant soin d’avoir l’air d’offrir « si peu ».

Robert de Goulaine, Tant et si peu, Ed. du Rocher, 142 p., 16€.

Miserere

Jean-Christophe Grangé revient sur le devant de la scène, à grands renforts de plans marketing, avec un roman touffu dont le nœud gordien tourne autour du Miserere d’Allegri, de la pureté de la voix, des tortionnaires chiliens et des bourreaux nazis.

A sa décharge, on reconnaîtra à l’auteur  une « qualité » : la fidélité. A son éditeur, au genre du thriller, et las, à une  fascination chirurgicale pour le mal, compulsive et obscène. S’il s’inspire de son passé de grand reporter et des tristes réalités parcourues d’un bout à l’autre de la planète, l’influence américaine se pose en dominante. La fascination pour la violence, la sociologie du flic au bout du rouleau, la topologie du monde de la pègre actuelle, etc. : la mécanique Grangé est bien rodée. Déroulant avec maestria les fils d’une intrigue complexe, avec un certain style, comme dans ses ouvrages précédents, il prend son lecteur en traître, lui imposant soudain des scènes abjectes et ultra-violentes qui n’apportent rien. Et non, ce n’est pas le Stephen King français, comme certains l’ont abusivement avancé – Grangé se situant justement aux antipodes du genre fantastique !

L’univers de Grangé donne le dernier mot au mal, à l’inverse des romanciers américains qui n’ont pas une vision unilatérale et dépressive du monde. Ce ne sont pas ses « happy end » de dernière seconde, volontairement peu crédibles, qui atténueront cette sinistrose littéraire.

Jean-Christophe Grangé, Miserere, Albin Michel, 528 p., 22, 90 €.

Amélie Nothomb - Le Fait du Prince

Quand le bourgeois joue l’aristocrate

Le comble, c’est qu’elle se veut hors norme, hors champ, déclassée, aristocrate. Le pire, c’est que beaucoup tombent dans le panneau. Scénario qui commence comme un roman policier (mais on préférera tout de même Agatha Christie ou Mary Higgins Clark) et finit comme un conte de fées pour (jeunes) filles. Une morale que certains ont l’heur de trouver belle : « Aussi longtemps que je crois à une possibilité de salut, je m’énerve, je m’angoisse. Quand je comprends qu’il n’y en a plus, je deviens zen et charmant. Puisque nous courons à la catastrophe, autant jouir de la vie. » (p.139) Le Carpe Diem édulcoré sauce Bobo, la philosophie réduite à sa plus simple expression : jouissons de la vie avant de crever !

Question langue ? Eh bien, c’est du grand Amélie Nothomb, des phrases courtes, une syntaxe simpliste pour ne pas perdre le lecteur en route, beaucoup de dialogues et quelques citations de grands auteurs qui en mettent plein la vue – et nous font regretter de ne pas être plutôt en leur compagnie.

Pour le marketing, car Amélie Nothomb est une véritable industrie à elle toute seule, Albin Michel en sait quelque chose, qui publie depuis seize ans un nouveau best-seller à chaque rentrée littéraire, il suffit de jeter un œil sur la jaquette du livre pour voir une Amélie aux traits lissés comme une poupée de porcelaine, grimée en Mary Poppins gothique, les mains enduites d’hémoglobine, jaillissant de ce qui pourrait être une fontaine de champagne, l’œil tendu vers le ciel. Allez comprendre !

Mais Mlle Nothomb, l’aristocratie ce n’est pas boire du Krug ou du Dom Pérignon en traînant en peignoir dans une villa versaillaise ! Il y a davantage d’aristocratie dans les frasques d’un Bukowski ce « héros de l’alcoolisme (…) qui buvait avec une sorte de vaillance (et) avalait des doses incroyables d’alcool de qualité infecte, et puis (…) écrivait des pages magnifiques » (p.128) que dans l’ivresse anémiée et soporifique de Boris Bordave alias Olaf Sildur.

Amélie Nothomb, Le fait du prince, Albin Michel, 170 pages, 15,90 euros.

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