Le manuel de savoir-survivre de Sylvain Tesson

Au moment où le Prix Nobel de littérature est décerné à un écrivain nomade, Jean-Marie Le Clézio, il est bon de  faire immersion dans un tout petit livre tendre, poétique et léger signé par un jeune écrivain voyageur, Sylvain Tesson. Cet entomologiste bienheureux, actuellement en quiète d’ailleurs du côté de Moscou vient de nous envoyer une carte postale longue de plus de cent pages pour nous dire combien la nature mérite d’être admirée et combien le regard de l’homme trouve son acuité dans le spectacle des éléments et des animaux qui l’entourent.

Ce volume d’Aphorismes sous la lune est une belle leçon de chose. Une leçon d’humanité et d’amour. Une indicible correspondance avec l’espace et l’intime de la vie. Tesson devient voyageur immobile, avec grâce et perplexité. Il s’amuse à voir, à déjouer les nœuds insensés que nous réservent un monde dans sa grandeur et sa petitesse. « L’aphorisme permet de gagner du temps en économisant des l’espace », résume t-il.

Il questionne, scrute ou rumine. Avec ses mots de fabuliste ou de clown mélancolique, l’auteur du Petit Traité sur l’immensité du monde sait avec Alfred de Musset qu’« un calembour console de bien des chagrins ». Il cite aussi en exergue le mot de Cioran, qui s’y connaissait en aphorismes noirs : « Ne cultivent  l’aphorisme que ceux qui ont connu la peur au milieu des mots, cette peur de crouler avec tous les mots. » Et c’est justement avec la saveur de cette langue, dans un français magistral que Tesson s’exprime, réinventant un genre dans un style élégant, à la limite du conte, enchâssé d’une poésie qui rappelle là aussi une tradition bien française. « Comment imaginer un monde sans cette langue ? » s’interrogeait Le Clézio. Tesson illustre bien cette volonté linguistique.

À lire sur le banc d’un jardin public, dans un train, comme au fond d’un lit, comme pour justifier la paresse qui nous étreint quand on ne peut plus détacher des yeux ce manuel de savoir-survivre.

Aphorismes sous la lune et autres pensées sauvages, de Sylvain Tesson. Illustrations de Bertrand de Miollis. Éditions des Équateurs, 110 pages,  11 €

« En automne, la vigne vierge rougit face aux arbres qui se dénudent «
« Le baiser du vent s’appelle une bise »
« L’orage, pétard mouillé »
« L’écume est la sueur de l’eau qui s’agite »
« La mouette est un éclat de rire, habillé de blanc, qui se moque de la gravité. »
« Si Dieu n’existait pas, le dos du cheval n’épouserait pas si bien la forme de la selle »
« Saisons : inconstance de la nature »
« Si le Tibet est le toit du monde, le Népal en est la gouttière »
« Nuage : brioche que le soleil ne parvient pas à cuire »
« Nénuphar : radeau de la grenouille »
« L’odeur de l’humus donne envie de pénétrer la forêt »
« Enfermer un nomade entre quatre mirs c’est mettre le vent en boite.
« Comment font certains livres pour rester si tranqiulles avec ce qu’ils recèlent ? »

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.