Johann Trümmel, La marge molle

Avec ce premier roman, Johann Trümmel surprend par l’extrême justesse de son analyse des rapports humains dans un microcosme qui se déploie comme une mise en abyme de nos sociétés occidentales post-modernes.

Tobias Poule, antihéros du roman, est un étudiant en fin de cycle qui deviendra enseignant par fatalité plus que par véritable conviction. Ni supérieurement intelligent, ni très courageux et même un peu névrosé, il n’en a pas moins une vision très nette de son propre personnage et des fils qui tirent et agitent le monde dans lequel il se meut : étudiants boutonneux et lèche-bottes, professeurs vaniteux, groupes de jeunes dont l’ouverture d’esprit autoproclamée ne fait que cacher le sectarisme intransigeant – autant d’acteurs paradant sur la scène d’un théâtre bouffon. Aussi quand Tobias croise Audrey qui, splendide muse, lit Belle du Seigneur sur le banc d’un jardin public, il ne lui en faut pas davantage pour s’en croire éperdument amoureux et se précipiter, en quête d’un amour fantasmé, dans les situations les plus grotesques.
« J’arrive dans la classe avec l’impression d’entrer par effraction dans une morgue. J’évite de croiser le regard des quelques étudiants déjà attablés. »
Le premier chapitre du roman a des réminiscences de celui de Madame Bovary, lorsque Charles Bovary, timide et embarrassé fait son entrée en classe sous les regards goguenards de ses camarades auxquels il tente vainement de se soustraire. Si Madame Bovary est indéniablement une œuvre de référence pour Johann Trümmel, La marge molle illustre également la théorie du désir mimétique de René Girard selon laquelle croire en l’autonomie de nos propres désirs n’est qu’une illusion romantique. Tobias Poule est à la fois Charles Bovary gravitant autour d’un monde qui le méprise et ne l’accepte pas, et Don Quichotte surmontant avec bravoure des épreuves imaginaires pour atteindre une Audrey idéalisée tout en étant réduit à séduire et humilier sa copine moche pour se venger sur elle de sa propre impuissance à incarner ce personnage qu’il croit pouvoir être.
Un roman drôle et néanmoins profond sous une apparente légèreté.

Johann Trümmel, La marge molle, Balland, 2008, 301 pages, 20,90 €

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