Pourtant, on ne pouvait pas dire que les deux héros Didon et Énée, alias le duc du Maine (fils légitimé de Louis XIV avec Madame de Montespan) et son épouse, se morfondaient dans une grande solitude au centre de la salle de festin que le peintre François de Troy (1645–1730) leur assigne dans leur palais imaginaire à l’antique, symbole des fastes de la cour de Sceaux !
Le duc et la duchesse du Maine sont, en effet, revenus, l’an dernier à l’occasion des fêtes du Patrimoine, dans leur domaine de Sceaux grâce au mécénat d’entreprise de Total qui a su profiter des avantages fiscaux liés aux trésors nationaux pour permettre définitivement la présence sur les cimaises du musée du Festin de Didon et Énée, œuvre importante, acquise pour la somme de 1 450 000 euros. Après de nombreuses années passées dans des collections particulières en France puis en Angleterre et aux Etats-Unis, cette toile est donc revenue à son lieu d’origine en permettant de surcroît de compléter l’évocation de l’œuvre du portraitiste François de Troy si intimement liée à la cour de Sceaux dont il était le peintre officiel.
Depuis le vendredi 13 février dernier, c’est à présent la comtesse de Brionne en compagnie de son fils, Louis de Lorraine, prince de Lambesc qui résideront à Sceaux dans la brillante 1730)compagnie de la duchesse du Maine.
Ce nouveau portrait est peint vers 1697 par François de Troy qui travaille ordinairement aussi pour la famille royale, celle d’Angleterre alors exilée à Saint-Germain, la famille d’Orléans (Élisabeth-Charlotte, dite Mademoiselle, future duchesse de Lorraine) ou encore les princes français de la maison de Lorraine qui durant plus d’un siècle occuperont la charge si convoitée de grand écuyer à Versailles.
Sur cette toile, François de Troy immortalise les traits de Marie-Madeleine d’Espinay-Duretal, marquise de Broons qui épouse, en 1689, Henri de Lorraine, comte de Brionne, chevalier des Ordres du Roi, et grand écuyer de France. À ses côtés, le peintre fait figurer son fils Louis, âgé d’environ cinq ans, qui arbore fièrement sur sa robe rouge et sa ceinture brodée la croix à double traverse des descendants de Gérard d’Alsace, fondateur de la Maison de Lorraine. Le jeune prince (1692-1743) connaîtra une carrière aussi prestigieuse que celle de ses ancêtres en s’illustrant sur les champs de bataille auprès de son oncle, Charles, comte d’Armagnac. Lors de la bataille de Malpaquet, sous la fougue des troupes conduites par le prince Eugène, il est blessé et capturé. En 1712, il est nommé gouverneur d’Anjou puis, quatre ans plus tard, brigadier des armées du Roi.
Cet exceptionnel portrait qui est régulièrement passé en vente publique depuis 1887, figurait, il y a peu encore, dans la collection constituée autour de la peinture française des XVIIe et XVIIIe siècles par Monique et Edwin Milgrom qui viennent, très généreusement, de décider de l’offrir au Musée de l’Ile de France à Sceaux.
Ainsi, en moins d’une année, le musée de Sceaux vient de connaître, coup sur coup, le bénéfice du mécénat. Une douce fatalité s’exercerait-elle sur l’ancien domaine de la duchesse du Maine ? Une fée bienveillante favoriserait-elle des dons aussi spectaculaires ?
Le mécénat n’est certainement pas le fruit du hasard. En premier lieu, il est souvent le résultat d’une politique culturelle ambitieuse conduite avec beaucoup de compétence et dans les règles d’une courtoisie ordinaire envers des propriétaires privés -voire même les marchands d’art-, habitude peu commune de nos musées français qui ont rarement le sens d’une reconnaissance élémentaire envers leurs bienfaiteurs !
Depuis de nombreuses années, en effet, le Conseil général des Hauts-de-Seine et le musée de l’Ile de France ont offert aux visiteurs appartenant aux horizons les plus divers une série d’expositions particulièrement intéressantes, en harmonie avec l’histoire du site, en déployant de surcroît une muséographie intelligente et dont l’esthétisme a été salué par une clientèle désormais fidélisée :
Ces grandes Heures de Sceaux sont marquées, par exemple, depuis 1993 par la rétrospective du duc d’Anjou à Philippe V organisée par Jean-Georges Lavit ; en 1997, François de Troy par Dominique Brême ; en 2004, Une journée de la duchesse du Maine par Cécile Dupont-Logié ; en 2007, Entre cour et jardin, Marie-Caroline, duchesse de Berry par Patrick Guibal qui l’année suivante présente l’exposition Carmontelle.
À ces événements significatifs, s’ajoute également la volonté d’enrichir non seulement les collections du musée mais la restauration des salles du château qui tendent à évoquer la richesse des décors du château primitif et l’entretien minutieux de vastes jardins.
La recette d’un tel succès témoigne donc probablement de l’heureuse conjonction d’une autorité politique qui mesure, dans son département, le poids de la culture en évitant de s’engouffrer dans des directions à la mode d’un jour et de la compétence de conservateurs qui savent aussi ne pas céder pas à la tentation d’une muséographie minimaliste souvent indigente. Il se pourrait encore que les responsables du Musée d’Ile de France, animés d’une véritable passion, aient cherché à offrir aux visiteurs le meilleur de ce que recèle le musée avec la profonde préoccupation de leur procurer une approche jubilatoire, sans a priori, en renonçant à « l’esprit mandarin » dont leurs confrères font si souvent montre ailleurs.
La grande exposition consacrée à Colbert qui se prépare, marquera assurément une heure nouvelle à ce palmarès. Sa mise en scène, sa conception contribueront à son succès d’une dimension largement internationale, attirant ainsi l’attention de nouveaux ou d’anciens mécènes qui verront avec soulagement que leurs efforts généreux peuvent trouver, chez le duc et la duchesse du Maine, l’asile qu’ils mettent parfois tellement de temps à trouver !
Photos : François de Troy, Le Festin de Didon et Enée, huile sur toile, 1704. Musée de l’Ile-de-France. Inv. 2008.2.1. Photo Pascal Lemaître, 2008.
Pratique :
Musée de l’Ile de France
www.chateau-sceaux.fr
Château de Sceaux – 92330 Sceaux
Tél.: 01 41 87 29 50
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