Alabama Song publié en Folio, je n’ai pas résisté à l’occasion de lire le Goncourt 2007 pour voir ce qu’il valait vraiment.
Se glisser dans la peau de Zelda, la femme excentrique du non moins torturé Francis Scott Fitzgerald, l’un des plus grands écrivains américains de l’entre-deux guerres, était à la fois une démarche risquée et relativement banale pour un romancier.
Justement, la banalité du sujet est ce qui m’a frappé dès les premières lignes d’Alabama Song, si bien que j’ai failli laisser là ce roman et l’impression de déjà lu qu’il dégageait. Cherchant vainement quelque chose qui le différenciât des autres fictions biographiques qu’on publie par dizaines chaque année, je ne trouvai rien dans le style ou la narration qui me semblât un tant soit peu novateur.
Fulminant, j’en étais à me dire que Gilles Leroy n’avait obtenu le Goncourt que parce qu’il avait dédicacé son roman à Isabelle Gallimard, éditrice au Mercure de France (la maison qui le publie), petite-fille de Gaston Gallimard (fondateur de la prestigieuse maison du même nom) et soeur d’Antoine Gallimard, (actuel patron du groupe qui rafle chaque année la majorité des prix littéraires de rentrée parce que la moitié des membres des jurys sont publiés par lui et que… bref, on connaît la chanson !) quand, insidieusement et à l’insu de mon plein gré, j’ai été peu à peu envahi par la vie excessive de ces deux têtes brûlées – Francis et Zelda, le couple haineux et autodestructeur qui se tailla une des réputations les plus sulfureuses d’Amérique en menant une vie de stars hollywoodiennes avant l’heure – qui vécurent tout à l’excès, s’endettant, se trompant, contraints à des déménagements réguliers pour fuir les créanciers et les sarcasmes de populations outrées par leurs frasques indécentes, pour finir rongés par l’alcool, la violence, la pauvreté et la schizophrénie et s’éteindre, comme les vrais héros, dans la force de l’âge qui était déjà pour eux le seuil de la décrépitude.
J’ai réalisé que les Fitzgerald étaient sûrement un des derniers couples mythiques
Aussi pour finir, je me félicite d’avoir persévéré dans ma lecture (on n’est jamais mieux servi que par soi-même) et si je devais vous en dire une seule chose, ce serait que lorsque j’ai fini Alabama Song, j’avais la tête pleine de rêves et qu’après un bref processus de digestion de ma lecture, j’ai réalisé que les Fitzgerald étaient sûrement un des derniers couples mythiques : de véritables héros au sens noble du terme et qu’après eux s’ouvrirait l’ère du raisonnable, du minuscule et du grotesque, des héros de pacotille, ennuyés et ennuyeux qui ne peuvent produire que la littérature et les mythes de notre époque, à savoir une littérature minimaliste parce que sans passion, mièvre parce que précautionneuse et pauvre parce que sans tripes.
J’étais parti aussi pour vous parler de L’œil de la NRF, un petit livre qui regroupe une centaine de textes parus dans la Nouvelle Revue Française entre 1909 et 2008, rassemblés à l’occasion du centenaire de la revue, mais je ne voudrais pas être trop long, aussi me bornerai-je à dire qu’il y a dans cet ouvrage surtout du bon mais aussi du moins bon. Du passionné, comme en témoigne le magnifique texte que François Mauriac consacra en 1924 à La Prisonnière de Marcel Proust, des critiques subtiles et parfois visionnaires d’auteurs aux sensibilités fort éloignées tels qu’André Breton, Joseph Kessel, Jean Cocteau, Richard Millet, Philippe Jaccottet… En bref l’image d’une famille d’écrivains hétérogène et disparate, non exempte de haine et de coups bas mais liée par une même idée de l’exigence littéraire qui fit de la NRF la plus importante revue littéraire française – celle qui aura guidé et mis au jour les plus grands auteurs du siècle passé. Quant à certains textes plus politiquement corrects et aux formules attendues, gageons que c’est la rançon d’une gloire que nous souhaitons aussi belle à la revue pour le siècle qui s’ouvre que pour celui qui a pris fin.
Gilles Leroy, Alabama Song Gallimard Folio, 2009
L’œil de la NRF, Gallimard Folio 2009
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