Avec le « Dictionnaire amoureux du ciel et des étoiles »*, le célèbre astrophysicien Trinh Xuan Thuan met la science des étoiles à portée de main. Une belle leçon scientifique qui conduit tout droit à l’émerveillement. Entretien.
Comment est née cette passion pour l’astrophysique ? Et cet émerveillement que vous savez si bien transmettre ?
TXT : J’ai eu la chance de faire mes études universitaires au California Institute of Technology, ou Caltech, à la fin des années soixante. L’université possédait le plus grand télescope du monde à ce moment-là, celui du mont Palomar, de 5 mètres de diamètre. Avoir accès au télescope qui regardait le plus loin dans l’univers, et donc qui remontait le plus loin dans le passé de l’univers, ne pouvait qu’impressionner un jeune esprit.
D’autre part, les années soixante ont été l’âge d’or de l’astrophysique. Le rayonnement fossile, les quasars et les pulsars venaient d’être découverts. L’exploration du système solaire battait son plein. Je me souviens encore de l’émerveillement ressenti quand les premières images de la surface martienne transmises par la sonde spatiale Mariner se sont formées sur l’écran de notre salle de classe. Au milieu de cette fermentation intellectuelle, il était inévitable que je devienne astrophysicien.
La théorie du Big Bang est revenue sur le devant de la scène. Quelles sont les dernières découvertes concernant l’origine de l’univers ?
TXT : La théorie du Big Bang n’a vraiment jamais quitté le devant de la scène cosmologique depuis la découverte en 1965 du rayonnement fossile, la chaleur qui reste de la Création. Ce rayonnement fossile nous dit que l’univers est parti d’un état très petit, très chaud et très dense, et que c’est une grande déflagration qui l’a dilué ensuite. La théorie du Big Bang reste pour le moment la meilleure théorie sur le marché pour rendre compte des propriétés connues de l’univers.
Quant aux découvertes sur l’origine et l’évolution de l’univers, les astronomes ont été tout surpris de constater à la fin du XXe siècle que l’expansion de l’univers, au lieu de décélérer, est en train d’accélérer ! Ce qui implique que 74% du contenu total de l’univers est constitué d’une mystérieuse « énergie noire » qui exerce une force anti-gravité répulsive. Le reste est composé de matière noire « exotique » (22%) et ordinaire (3,5%). La matière lumineuse dans les étoiles et les galaxies ne représente que 0,5% du contenu total de l’univers ! Les astrophysiciens ont du pain sur la planche : ils n’ont aucune idée concernant 96% du contenu de l’univers !
À l’échelle des espaces infinis, la vie apparaît comme une forme de miracle. Que pensez-vous de la phrase : « La nature savait quelque part que l’homme devait venir. » ?
Cette phrase est du physicien anglo-américain Freeman Dyson. Elle exprime le fait que l’univers a été réglé de façon extraordinairement précise dès les premières fractions de seconde du Big Bang pour que les étoiles naissent et fabriquent les éléments lourds nécessaires pour l’émergence de la vie et de la conscience. En d’autres termes, l’univers est gros de la vie et de la conscience. C’est ce qu’on appelle le principe « anthropique », du grec « anthropos » qui veut dire « homme ». L’univers tend vers l’homme, ou plus généralement vers la vie et la conscience. Ce réglage est-il dû au hasard ou à la nécessité ? La science ne peut pas trancher car les deux réponses sont possibles. Si l’on opte pour le hasard, il faut postuler un multivers : notre univers ne serait qu’une bulle parmi une infinité d’autres bulles-univers dans un méta-univers. Tous les autres univers auront une combinaison perdante de constantes physiques et de conditions initiales, et n’hébergeront pas de vie et de conscience, sauf le nôtre, où, par hasard, la combinaison gagnante est sortie, et nous sommes en quelque sorte le gros lot. Je rejette l’hypothèse d’un multivers car elle est invérifiable : nous ne pourrons jamais vérifier par l’observation l’existence d’autres univers.
Je rejette donc le hasard et parie plutôt sur un seul univers réglé par un principe créateur dès le début pour l’émergence de la vie et de la conscience.
Croyez-vous au pendant du Big Bang, le Big Crunch concernant la fin de l’univers ?
Le futur de l’univers peut être prédit de manière scientifique. Il dépend du contenu total de l’univers en matière et énergie. Le dernier recensement de ce contenu (voir la question 2) nous dit que l’univers aura une expansion éternelle. Il se diluera de plus en plus, et se refroidira de plus en plus, jusqu’à la fin des temps. Si ces observations difficiles sont confirmées, le mouvement des galaxies ne s’inversera jamais, et l’univers ne s’effondrera jamais dans un Big Crunch.
Que pensez-vous de la grande question qui agite le monde des physiciens : la théorie unifiée qui devra concilier en une théorie unique la mécanique quantique et la théorie de la relativité ?
Dans la théorie du Big Bang, l’univers est parti d’un bout d’espace des dizaines de millions de milliards de milliards de fois plus petit qu’un atome. C’est donc l’infiniment petit qui a accouché de l’infiniment grand. Pour comprendre l’origine de l’univers et donc notre propre origine, il nous faut une théorie qui unifie la physique de l’infiniment petit, la mécanique quantique, et la physique de l’infiniment grand, la relativité, en une théorie de « gravité quantique ». Une des théories de gravité quantique les plus en vogue actuellement est la théorie des « cordes ». Selon celle-ci, les particules élémentaires ne sont plus des objets ponctuels, mais le résultat de vibrations de cordes infinitésimales de 10-33 cm.
Dans la version la plus simple de la théorie, ces cordes habiteraient un univers à neuf dimensions spatiales, soit six dimensions de plus que les trois que nous connaissons. Pour l’heure, la théorie des cordes souffre du plus grave défaut qui soit en science : elle n’a jamais été testée expérimentalement. Mais la mise en opération du LHC (Large Hadron Collider, Grand Collisionneur de hadrons) au CERN à Genève à la fin 2009 suscite l’espoir de tester certains aspects de cette théorie.
Propos recueillis par Salsa Bertin
*Dictionnaire amoureux du ciel et des étoiles, Plon, 2009, 1088 pp., 26€.
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