Alors que l’Assemblée Nationale a finalement adopté la deuxième mouture de la loi Hadopi, censée notamment mettre fin au téléchargement illégal, et que le conseil constitutionnel l’a validée, il est temps de s’interroger sur la pertinence de cette loi.
Une loi inutile …
Depuis des mois que politiques, intermittents du spectacle, pipoles divers et variés et citoyens s’affrontent sur cette question, un point ressort des débats, sur lequel presque tout le monde s’accorde, c’est que cette loi ne servira à rien. La loi Hadopi ne résoudra en rien les problèmes que posent les téléchargements illégaux, encore moins ceux de la rémunération des artistes. Depuis qu’Internet existe, il a été prouvé à chaque fois que les internautes étaient les plus malins et qu’ils savaient contourner les lois pour ne pas se faire prendre. Non seulement il n’est pas difficile de télécharger avec une adresse IP détournée, voire une fausse adresse Mac (qui sont censées confondre les coupables comme l’ADN de l’ordinateur) mais pire encore, il est possible de télécharger des fichiers en détournant l’adresse IP d’un inconnu, qui deviendrait alors coupable d’un téléchargement illégal dont il n’a pas bénéficié. Au final, cela ne peut déboucher que sur un imbroglio judiciaire dont nous ne sommes pas près de sortir.
… Pour régner sur le net
Mais tout le monde le sait pertinemment, à part le gouvernement qui tente de se voiler la face. Le fond du problème est tout autre : le gouvernement, avec cette loi, cherche à contrôler Internet, le dernier espace de liberté qui demeure. Cela a été clairement dit et Nicolas Sarkozy lui-même l’a affirmé, il est hors de question que le web soit une zone de non droit, ce qui signifie pour notre gouvernement une zone qu’il ne contrôle pas entièrement. Ce que cette loi traduit en réalité, ce qu’elle laisse voir et qui devrait crever les yeux de tous, c’est que nous sommes dans un Etat totalitaire qui ne supporte pas qu’un lieu, même virtuel, échappe à son contrôle. Car Internet aujourd’hui – et pour combien de temps encore ? – est un lieu de relative liberté, où les informations s’échangent et transitent généralement de manière gratuite, où chacun peut s’exprimer sans avoir à subir les censures et les pressions, où l’information n’est pas retravaillée pour aller dans le sens que l’Etat français souhaite donner à l’histoire.
Ce qui est insupportable à notre gouvernement, c’est que non seulement il retire très peu de bénéfices pécuniaires de tout ce qui transite sur le web, mais qu’en plus il a du mal à contrôler la pensée qui en émane. Or le vent de changement que l’on observe en France depuis quelques années n’est sans doute pas étranger au développement d’Internet depuis les années 90. Nous semblons sortir d’une longue torpeur et nous rendre compte qu’un monde différent est encore possible, non pas le « ensemble tout devient possible » de Nicolas Sarkozy mais un autre possible, au-delà de l’industrialisation et de la rentabilité effrénées.
Car il ne faut pas se faire d’illusions, l’Etat français n’a cure de sauver les artistes, ce n’est qu’un prétexte. Ce qui lui importe est avant tout l’argent qu’il peut en tirer et, plus encore, de tirer les ficelles qui agitent les marionnettes que l’on appelle artistes en France.
Aussi la mort annoncée et prédite de nos artistes ne doit pas nous faire peur.
Elle pourrait même nous faire du bien car c’est à cette condition que nous pourrions voir émerger d’authentiques artistes, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui ont une réelle conscience de leur art, avant de penser à ce que leur bouillie à la mode pourra leur rapporter de notoriété et d’argent. Le téléchargement illégal tuera peut-être les industries qui se sont développées avec la consommation de masse et tout ce qu’elle implique d’inhumain, mais cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus d’artistes. Universal, EMI, Sony… ne pourront plus abreuver nos yeux et nos tympans de leurs stocks d’images et de sons formatés ? Ce n’est peut-être pas plus mal. Au contraire, c’est peut-être le signe qu’il faut changer notre manière d’appréhender le monde et ne plus penser notre vie que comme une suite de consommation de biens infinie.
La question qu’il faut se poser est la suivante : que restera-t-il dans un siècle des « productions artistiques » des cinquante dernières années au regard de l’histoire ?
Qu’avons-nous envie de sauver ? Depuis les premières peintures rupestres jusqu’à l’avènement du monde moderne, des hommes et des femmes ont su créer de l’art sans être porté par des industries multimillionnaires. Pourquoi cela serait-il devenu impossible aujourd’hui ? Le destin d’un artiste n’est pas de s’enrichir démesurément, d’être adulé comme un veau d’or. Sa tâche est avant tout de faire rêver l’humanité, d’en transcender le quotidien et ceci n’est pas affaire d’argent. Alors soyons logiques et appelons de nos vœux un monde où l’on se préoccupera davantage de la qualité de la création que de sa quantité.
Notre gouvernement, par son acharnement à défendre un système obsolète qui se meut uniquement dans une perspective productiviste – il le montre avec la loi Hadopi mais aussi en défendant de manière absurde une agriculture qui marche sur la tête et ne fait plus vivre ses agriculteurs – démontre son inaptitude à s’adapter au monde tel qu’il est réellement aujourd’hui et met en lumière son aspect essentiellement réactionnaire. Il voudrait que les artistes conservent des prérogatives désuètes qui en font (avec certains sportifs) les enfants gâtés de la république. Il aimerait bien aussi continuer d’empocher toutes sortes de taxes sur les produits culturels et continuer à avoir son mot à dire sur ce qui se crée.
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