Antoine Volodine est un écrivain aussi fascinant que mystérieux.
Auteur d’une œuvre prolifique qu’il élabore avec patience et entêtement depuis vingt-cinq ans, il se présente comme le porte-voix d’une communauté d’auteurs imaginaires, regroupés dans le mouvement du post-exotisme, défini comme étant « une littérature de l’ailleurs qui va vers l’ailleurs ».
S’il reconnaît être celui qui écrit sous le nom de Lutz Bassmann, de Manuela Draeger ou de Elli Kronauer, ce n’est qu’en tant qu’instrument de leurs pensées. Selon lui chacun est un auteur à part entière, porteur d’une pensée et d’une écriture spécifiques et nettement définies dont le regroupement permet d’édifier un univers limité dont il espère venir à bout et qui devra être appréhendé comme un monde à part dans la littérature contemporaine. Ces auteurs imaginaires sont si vivants en lui qu’il répond à la première personne du pluriel quand on l’interroge.
Il vient de publier Onze rêves de suie sous le nom de Manuela Draeger, Les aigles puent sous celui de Lutz Bassmann et Ecrivains sous le nom d’Antoine Volodine. Trois romans qui sont autant de pierres apportées à l’édifice de sa reconstruction du monde. Dans chacun des livres, les histoires sont portées par des voix d’hommes et de femmes basculant de la vie vers la mort, ou peut-être l’inverse, sur une Terre post-apocalyptique où quelques hominidés survivent plus ou moins au milieu des décombres d’un monde ravagé par les guerres, les massacres et l’échec du communisme mondial. On ne sait jamais très bien si pour eux la mort est préférable à la vie, si la vie et la mort ont un sens et si tous ne sont pas déjà morts, leurs paroles seules les faisant revivre, comme un témoignage mémoriel.
Ce triptyque s’articule autour d’Ecrivains qui apporte un éclairage essentiel sur le rôle de l’écrivain dans un monde voué à la destruction. Les écrivains de Volodine, bien loin des poncifs habituels, sont souvent analphabètes, plus morts que vivants, bêtes parmi les bêtes, porteurs simplement de messages que d’autres n’ont pas la force d’articuler.
L’écriture, en tant que témoignage, est peut-être la dernière chose qui restera quand les hommes auront fini leur travail de destruction, quand l’apocalypse aura passé et que le règne humain sera confondu avec le règne animal, toutes les civilisations étant retournées au chaos. Bien loin de l’exercice narcissique ou de tout projet artistique, le récit, qu’il soit oral ou écrit est peut-être ce qui, à la toute fin, permettra encore à l’homme de survivre ou de sous vivre, pas même de se distinguer de l’animal, puisque ceux-ci parlent aussi chez Volodine, en tout cas de n’être pas encore néant.
Quand tout sera éteint, la parole demeurera, qu’elle soit mémoire, rêve, pensée ou écriture, semble dire Antoine Volodine.
Antoine Volodine, Ecrivains, Le Seuil, 186 pages, 17,50€
Lutz Bassmann, Les aigles puent, Verdier, 150 pages, 16€
Manuela Draeger, Onze rêves de suie, L’Olivier, 197 pages, 18€
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