Christian Boltanski est l’artiste invité du pavillon français de la 54 ème biennale de Venise, du 4 juin au 27 novembre 2011.
L’œuvre intitulée Chance, Boltanski pose une simple question : la chance est-elle hasard ou volonté divine, ce qui revient à se demander si nous sommes sujets à une certaine forme de prédestination. L’artiste, qui se dit volontiers croyant, aurait envie de répondre oui, en ce qui le concerne.
« À partir de Leçons de ténèbres, j’ai osé, dit-il. Osé ne plus être moqueur, osé affirmer que je suis religieux, que je suis sérieux, que c’est important. [1]» Prenons donc son œuvre au sérieux : ces milliers de visages de nourrissons qui défilent sont chacun l’image d’une vie. Or, seule une image se fixe toutes les 8 minutes. Hasard ? Chance ? Volonté divine ? Cette œuvre est l’image de la vie même : pour des milliers de visages croisés, aperçus, combien nous resteront en mémoire, combien attireront notre attention, auront la chance d’attirer les regards ?
La mémoire est un des leitmotive de l’œuvre de Boltanski, cet homme qui peut sembler totalement fou à emprisonner des milliers de battements de cœur, « une bibliothèque de cœurs » sur une île au Japon, à collectionner les vêtements et les visages anonymes, à dresser une Bibliothèque des annuaires, à enregistrer et retransmettre en direct toutes les activités qui se déroulent dans son atelier, disponibles dans un endroit unique de Tasmanie ; qui a décidé de vendre sa vie en viager à un mécène. C’est que l’homme est obsédé par la mémoire, la disparition et la mort. Dans le pavillon de la biennale défilent continuellement les chiffres des naissances et des morts dans le monde. Tant que les naissances sont supérieures aux morts, l’espoir demeure, explique-t-il.
Dans le fond, tant que la mémoire dure, l’espoir persiste, semble dire Boltanski.
Car sans mémoire, plus de monde. « L’importance de l’enfance, la croyance dans le pouvoir rédempteur de la mémoire, constituent pour Boltanski un antidote au désespoir, écrit Catherine Grenier dans la réédition augmentée de la monographie qu’elle a consacrée à Boltanski. Au cœur de sa vision pessimiste de la vie, une lueur persistante continue à éclairer le futur et à actualiser le présent : la croyance, fondée sur son expérience propre, que par-delà l’oubli une transmission est assurée malgré tout. L’un des enjeux principaux de l’art se situe sur ce terrain mémoriel : par sa force d’évocation, par sa puissance émotionnelle, l’art est le lieu privilégié, et peut-être le seul lieu possible, pour rappeler le présent à la mémoire. En faisant ressurgir le passé, l’art nous rappelle à l’essentiel. »
En réalité, le désir que Boltanski exprime d’être, à travers son œuvre, la mémoire de l’humanité, lui qui n’a de cesse d’afficher et de collectionner les vies et les visages anonymes, a quelque chose d’un Faust qui ne désirerait plus avoir la connaissance absolue mais la mémoire absolue, ce dont seul Dieu, s’il existe, est capable. Peut-être plus qu’un doute à l’égard d’un Etre supérieur qui aurait la mémoire totale de l’univers, l’œuvre de Boltanski s’impose comme une volonté de dissiper l’illusion que serait la vie sans mémoire.
Si son œuvre est une des plus passionnantes de notre époque, ce n’est pas par sa représentation mais par les questions qu’elle aborde : la fin du monde, le jugement dernier, la vie et la mort, la mémoire et l’oubli, le mal et la destruction qui sont en fin de compte les seules questions essentielles mais aussi parce que cette œuvre, inspirée par les traditions juive et chrétienne et par l’oralité s’énonce comme un récit, c’est-à-dire comme la vie.
Reste que l’on peut aussi bien se demander si (comme certains à propos des archives de l’INA) garder toute la mémoire du monde n’est pas une manière d’asphyxier la vie, à l’image de Funes, le personnage de Borges qui, incapable de rien oublier ne parvient plus à vivre ni à penser. « L’oubli est la gardien de la mémoire », selon J. Delay, ne l’oublions pas !
54 ème biennale de Venise, du 4 juin au 27 novembre 2011.
Catherine Grenier, Christian Boltanski, 232 pages, Flammarion.
[1] Cité par Catherine Grenier in Christian Boltanski, Flammarion, 2011.
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